8.12.21

Désagréables sensations, sentiments, pensées, hier au soir, un peu avant de m’endormir. Un peu plus tard, le lendemain matin, je me demanderai à quoi bon continuer si longtemps, si longtemps si ce qui vient doit ressembler à ce qui s’est écoulé. Ce qui est une façon égoïste d’envisager les choses, mais peut-on faire l’économie de ce visage-là des choses ? Oh, je ne suis pas un nihiliste d’opérette à la Cioran, je sais que la vie est belle et qu’elle est laide et, peut-être, peut-être que la source des problèmes qui s’entassent plutôt qu’ils ne s’accumulent ou se succèdent est là, dans cette contradiction qui ne résout rien, ne débouche sur rien, se contente de se maintenir telle quelle comme un horizon indépassé, indépassable, insurmontable. Comment n’oscillerait-on pas, dès lors, la vie elle-même oscillant entre le sublime et le hideux, comment n’oscillerait-on pas entre la passion et le désespoir, l’utopie des lendemains qui chantent et le désir de destruction totale, entre l’espoir et l’abattement ? Trouver comment, est-ce la solution du problème de la vie ? À ceci près que, comme il me semble l’avoir déjà écrit, la solution au problème de la vie n’est pas une réponse, ce n’est pas une phrase, pas une maxime, pas une doctrine, pas une religion, pas une idéologie, pas une politique ni une philosophie. La solution au problème de la vie prend la forme d’une vie. Ou mieux : la solution au problème de la vie est une vie. Je cherche dans les pages de ce journal où j’ai bien pu écrire une telle phrase. Je ne la trouve pas. Peut-être l’ai-je écrite ailleurs. Peut-être l’ai-je pensée sans l’écrire. Peut-être l’ai-je écrite pour l’oublier. Souvent, je me dis que l’écriture devrait servir à cela : oublier ce que l’on a écrit. Ainsi, après avoir écrit, on se trouverait neuf. Au lieu de quoi, au lieu de cette nouveauté, on se trouve chargé de ce que l’on a écrit. Et l’on fouille pour y trouver ce que l’on est censé avoir déjà pensé. Quelle stupide destinée, n’est-ce pas ? Comme si l’on pouvait parler d’une destinée. Ce n’est rien du tout. Certains jours, les pages de ce journal me font penser à un long prêche insensé dans le désert. Il n’y a pas de fidèles pour ma religion parce que je n’ai pas de religion du tout. On ne peut pas fonder les religions sur des questions, il faut les assoir sur des réponses — définitives, sans appel. Raison pour laquelle elles sont fondamentalement fausses. Les réponses sont des escroqueries, des mensonges, des armes pour conquérir le pouvoir. Chacune nous écarte un peu plus de la vérité que nous recherchons. Penser détenir la réponse à une question, telle est l’origine du charlatanisme. Telle est surtout l’origine de la société sous la forme que nous lui connaissons.