Le bruit des vagues, doux et grave, enveloppe l’univers. Je n’ai pas plus de raisons de croire que de ne pas croire. Je suis ouvert. Je me dis : « Quand même on le voudrait, qui pourrait faire le bonheur des gens malgré eux ? — une vision de l’histoire », et je ne sais si c’est pour me consoler de ne pas agir ou s’il y a quelque chose de réel et profond dans cette phrase. La lamentation baudelairienne sur la forme de la ville qui change plus vite que nos mœurs est l’expression d’un utopiste déçu, conscient que la révolution lui a échappé, dit en substance Walter Benjamin. Pourtant, dix ans après, la Commune aura lieu, rendue possible par le changement de forme de la ville, son extension, sa métamorphose. Il n’y a pas d’anticipation historique. L’espoir ne se perd jamais, il se transforme. Les traces de doigts que l’enfant a laissées sur les fenêtres de la baie vitrée me gênent, m’empêchent de penser, comme si elles entravaient la circulation entre dedans et dehors, ici et ailleurs. Je me lève, vais dans la cuisine, déchire quelques feuilles de papier essuie-tout, sors le pulvérisateur de nettoyant multi-usages du placard où il est rangé, me dirige vers la baie vitrée où, avec un soin méticuleux et une précision maniaque, j’efface ce qui doit l’être pour que mon regard puisse passer, les flux du monde aller et venir. Il ne faut jamais désespérer. Est-ce pour me convaincre que mon existence n’est pas en vain que je viens d’écrire cette phrase ? Toutes nos significations seraient-elles fanées, lettres mortes pour le temps présent, que nous ne devrions toutefois pas renoncer à les mettre en circulation, leur laisser libre cours : ce qui les entrave aujourd’hui, leur interdit de faire leur œuvre, se déchaînera plus tard. Il n’y a pas d’anticipation historique, mais il y a une fonction révélatrice de l’histoire, laquelle rend manifeste ce qui était latent, fait advenir l’impossible, réalise le possible.

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