22.12.21

Quelque 2,7 millions de livres publiés cette année. Ce sont les chiffres de l’UNESCO. Et moi qui ai le sentiment de ne pas avoir lu la moitié de ceux que je voudrais lire. (Une bibliothèque infinie, n’en déplaise à Borges, n’est pas le paradis : une bibliothèque infinie, c’est l’enfer.) Il y a quelque chose de frénétique dans ce productivisme, une sorte d’excitation pubère. On fait fonctionner l’outil pour le simple plaisir de le faire fonctionner. Un instant, je tente de me consoler en me disant que je n’aurai pas pris part à ce déluge biblique, cette année, mais n’est-ce pas hypocrite ? Et puis, me souvenant, je m’en rends compte : hypocrite ou pas, peu importe, c’est faux. Je perçois alors un sentiment de honte. Je le chasse. Tout n’est pas sans doute pas voué à l’autodafé dans ces 2,7 millions de livres. Et là, là, je suis hypocrite. Je cherche le moyen d’avoir la conscience en paix. Je suis un lâche, comme tout le monde. 2,7 millions de livres. Qu’est-ce qui peut survivre à pareil déluge ? Rien. On ne produit pas pour survivre. Pas même pour vivre. On produit pour produire. Ainsi de la consommation : on ne consomme ni pour survivre ni pour vivre, on ne consomme que pour consommer. Au fond de notre éthos capitaliste, n’y a-t-il pas un désir qui se dévoile chaque jour un peu plus à lui-même, — le désir qu’il ne reste rien ? L’action tautologique se neutralise elle-même, elle se désintègre. Pour l’instant, il reste des restes, mais un jour il ne restera plus rien. On peut atteindre au néant salvateur par la prière. C’est la méthode pascalienne, sublime, terrible, effrayante, inaccessible au commun des mortels. Et puis, il y a donc la méthode capitaliste, accessible à tous, ou du moins désirable par tous. Qui ne rêve, en effet, de passer dix jours dans l’espace pour le simple plaisir de passer dix jours dans l’espace ? Infinie extension du tourisme. Méthode capitaliste, disais-je, laquelle procède par accumulation jusqu’à ce qu’un jour, à l’extrême fin de l’histoire, la consommation se consommant elle-même, la production sera immédiatement consumée, sans surplus, sans déchet, sans stock ni délai. Dans le vide universel enfin réalisé.