La fraîcheur de l’eau de mer ne me rassure pas quant à la qualité de l’air. D’ailleurs, la plage est si sale qu’elle ne laisse planer aucun doute sur l’état du monde (« la planète »). Tout autour de moi flottent des milliards de particules de plastique. Sur le sable, elles ne prennent même pas la peine de se cacher, se mélangent avec les mégots de cigarette, les débris de bouteilles de bière éclatées, les déjections canines, que sais-je encore ? toute une civilisation, là, à la pointe des pieds. Il n’y a qu’à se baisser pour ramasser. Mais non. L’enfant qui joue ici est heureuse et moi aussi. Malgré ces choses qui souffrent de tant de défauts, tout est parfait. Suffit-il de le dire pour le croire ? Je ne sais pas. L’universalité de la bêtise pourrait m’accabler, si elle n’avait pas quelque chose de rassurant : elle touche tout le monde, j’entends par là : toutes les options politiques, théoriques, religieuses, esthétiques, etc., elle touche tout le monde sans distinction aucune. Je retiens les phrases suivantes. Me lève pour surveiller l’état d’avancement de mon café. Casse le carré de chocolat qui l’accompagnera. Reviens à ma table d’écriture. Quand j’ai pris le carnet et le stylo que j’avais disposés à cet effet sur la table de chevet pour noter le rêve qui venait de me réveiller, cette nuit, j’ai accompli ce que j’avais prévu de faire. Non pas d’être réveillé au petit matin (aux alentours de 5 heures 39) par mon rêve, mais de rêver, de me souvenir de mon rêve et de le consigner par écrit. J’ai ainsi pour projet de constituer une sorte d’archives de mes rêves dont je voudrais tirer un livre, mais je ne sais pas (1) si cela en vaut la peine (2) au bout de combien de temps je disposerai d’un matériau suffisant (3) si seulement j’en disposerais et (4) si ce projet ne s’effondrera pas de lui-même avant même d’avoir été édifié sur quelque chose. Pour le moment, je veux me contenter de rêver. Qui peut en dire autant ? Je pourrais accabler l’enfant privée d’école à cause du virus, l’obliger à travailler malgré tout, c’est elle, d’ailleurs, qui m’a parlé de travailler, ce matin, et ce fut, je crois, ma première intention, à moi aussi, il y a quelques jours de cela quand nous avons appris l’absence de l’institutrice, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Au lieu de travailler, je la laisse vivre. Ce pourquoi nous allons à la plage plutôt que de faire les devoirs. Pourquoi, en effet, pourquoi devrait-elle être deux fois victime : privée d’école et privée du temps de loisir (σχολή) exceptionnel dont elle peut disposer ainsi ? Je n’ai pas envie de voir dans mon enfant un petit salarié en puissance, une petite bête de somme à l’état primitif, un sujet en devenir, subissant sa vie durant d’innombrables tests destinés à s’assurer de sa normalité (sanitaire, mentale, scolaire, sociale). Cependant que j’écris, elle est en train de regarder des dessins animés plus ou moins subtils (quelque chose d’inspiré de la légende d’Arthur). Qu’est-ce que ça peut faire ? Qu’elle vive puisque personne ne veut plus nous laisser vivre en paix.

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