Le vent s’est levé. Impression de respirer un peu après tant de jours de brume. Il faut bien que, de temps à autre, quelque chose sauve la Méditerranée de la laideur où l’enfoncent les promoteurs, les opportunistes, hideux bâti, gens avilis, tout ce qui s’oppose au paysage, — mais un pays, ce n’est pas un paysage, on ne vit pas dans le paysage, si sublime soit-il. Quant à moi, je ne parviens toujours pas à me défaire de ces sensations diffuses dans le corps, partout, pas vraiment des douleurs, non, une sorte de gêne permanente, comme si tous les mouvements, toutes les sensations qu’on ne sent pas en temps normal se donnaient à percevoir en ce moment, toutes simultanément. De la tête aux pieds. Je voudrais faire craquer l’ensemble de mes articulations, me débarrasser d’un coup de la totalité de ces micro-entraves, mais cela me semble impossible. J’ai l’impression d’être lent, de manquer d’énergie. Et c’est vrai. Et c’est faux. Comment sortir de la dépression universelle ? J’ai envie de casser quelque chose. Mais, même si je tape, je me retiens. Ce n’est pas bon de se retenir. Toute l’énergie semble être là : dans un désir de destruction que rien ne semble pouvoir assouvir, pas même la destruction. Surtout pas la destruction. Après avoir essayé de casser quelque chose, après avoir retenu mon geste au moment fatal, je ferme les yeux. Quelque chose ne va pas, me dis-je, quelque chose ne va pas. J’écoute le vent qui fait trembler les vitres. Tout un paradoxe : je manque d’énergie parce que je déborde d’énergie. Je me sens enfermé. J’essaie de penser à autre chose. Au goût. Question à laquelle je pense beaucoup en ce moment. Voici à peu près où j’en suis : une esthétique digne de ce nom doit défendre un goût universel contre la majorité de l’art officiel et les minorités enfermées dans leur solipsisme. Un peu comme on dirait : la signification, ce n’est ni la référence (l’objet que je peux montrer du doigt quand je dis que p) ni l’état mental (l’idée que j’ai en tête quand je dis que p). Ce goût a tous les repoussoirs : les Béotiens, les Philistins, les progressistes, les réactionnaires, les conservateurs. Ce goût a la singularité du dandy et l’universalité de l’inouï.

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