Un bol de riz complet (huile d’olive et sel), un bol de soupe de légumes, du pain, une orange, avant : trois dattes. Menu du midi. Hier au dîner : une salade de hareng et de pommes de terre, du pain, du fromage, de la compote de pommes et de poires. Pas mangé de viande depuis plus de deux semaines. Onzième jour sans alcool. Ce qui me semble manquer le plus, c’est la joie. La perspective de la joie. Beaucoup parlent de transformation du monde, de changement de société, de transformation de soi, mais la joie me semble absente de leur discours. Beaucoup de souffrance, beaucoup d’interdits (présents ou à venir), beaucoup de techniques de contrôle de soi (désirées ou subies), beaucoup de repli factuel sur des valeurs figées, fixées une fois pour toutes, beaucoup de repli sur soi, mais très peu de joie. Or, à quoi bon survivre, à quoi bon changer le monde, à quoi bon sauver la planète, à quoi bon surmonter les épreuves, si la joie est absente de l’existence ? Je ne parle pas du bonheur, lequel peut prendre des formes si diverses que le considérer comme une notion unique est parfaitement absurde, je parle de joie. Joie de vivre, si l’on veut, joie d’exister, sans rien de plus que cela, sans objet. Au sens où je l’entends : exister est une joie et exister, c’est devenir, croître. À quoi bon sauver le monde pour vivre dans un monde terne, triste, défini négativement, que ce soit le monde présent, dont on se demande comment il peut bien satisfaire quiconque, ou les modèles projetés de mondes futurs, tous plus terrifiants les uns que les autres, d’autant plus terrifiants qu’ils se donnent tous comme bienveillants ? À vrai dire, je n’ai pas l’impression d’obéir à une diète particulière, il me semble plutôt que j’expérimente, des façons de vivre, des façons d’exister ; — c’est un des sens du devenir. J’ai le sentiment de ne pas avoir grand-chose à dire. Et c’est désagréable. Cependant, ce sentiment ne me semble pas déclencher autre chose que lui-même. Il est comme clos. Je voudrais avoir quelque chose à dire (écrire quelque chose d’autre que ce journal, c’est-à-dire), mais n’y parviens pas, j’en conçois de la frustration, accuse à l’occasion ce journal de vampiriser toutes mes idées, ne semble pas à même de dépasser ce sentiment de frustration, reste coincé là, bêtement, assez bêtement, je dois le dire. Je me sens comme paralysé, incapable : quelque chose résiste qui n’est autre que moi-même, mais à quoi est-ce que moi-même je résiste sinon à moi-même ? Tout ceci semble inextricable et absurde.

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