Une salade d’endives, de noix et de roquefort (huile d’olive, sel, poivre), un peu de fromage, du pain, une orange. Hier au dîner : des pâtes aux courgettes, du pain, du fromage, de la compote de pommes et de poires. Je ne travaille pas assez. Voire, je ne travaille pas du tout. Mais je ne sais pas comment faire pour travailler plus. C’est-à-dire : je sais matériellement, mais je ne sais pas moralement. Est-ce que je dois me dire : « Écris le plus mauvais livre du monde. » ou : « Ne te pose pas de questions ! » ou : « Tant pis si c’est nul, ne t’en préoccupe pas. » ou : « L’essentiel, c’est d’avancer, tu ne sais pas ce que ça peut donner. » ? Sauf que c’est faux, je sais ce que ça peut donner. Les mauvais livres se vendent par centaines de milliers et il se trouve même des gens pour les acheter, donc, c’est faux de dire que je ne sais pas ce que ça peut donner quand on avance sans se poser de questions, sans scrupules, on se saisit d’un sujet et puis, c’est comme une division de chars à l’assaut, les pages tombent les unes après les autres, comme les arbres, les ennemis sur le champ de bataille, mais quant à la littérature, il n’en est pas question. D’ailleurs, personne ne se soucie de la littérature, les gens font des livres, même si ça se ressemble, ce n’est pas la même chose. Moi non plus, pour dire toute la vérité, je ne me soucie pas de la littérature. Qu’est-ce que c’est la littérature ? Un type qui poste des vidéos sur YouTube pour expliquer que les NFT, c’est l’avenir ? Mais ce n’était pas déjà l’avenir, internet ? Alors c’est quoi, l’avenir de l’avenir ? Si j’écris, je n’ai pas envie de contribuer à la défaite du sens. Oui, cette phrase est pompeuse, et alors ? Est-ce que je dois m’excuser de faire des phrases pompeuses quand l’immense majorité des phrases sont absolument nulles ? Je n’arrive pas à travailler parce que, parfois, je crois, j’ai honte de ce que je fais, j’ai honte d’être un écrivain, j’ai honte de participer de cette mauvaise comédie. Si j’étais cinéaste, comédien, plasticien, musicien, je ne sais pas trop quién, j’aurais honte aussi, mais par chance, ce n’est pas mon problème, je n’ai qu’à avoir honte de ce que je fais non à cause de ce que je fais en soi, mais à cause de ce de quoi ce que je fais participe. Mais la honte, ça ne fait pas vendre de livres, ça ne les fait même pas écrire, ça les fait désécrire. En fait, j’ai au moins une idée par jour et, chaque jour, cette idée s’effondre, chaque jour, cette idée me paraît vaine, comme une microscopique goutte d’eau dans un océan de plastique. Je la regarde mourir et, si je ne suis pas triste, il y a quand même quelque chose de désespérant à abandonner toutes ces idées. Mais je continue de chercher, tu vois, et je crois, sincèrement, je le crois, je crois que ne pas boire (au prétexte du janvier sexe), ne pas boire et ne pas manger de viande m’y aide. Pas directement, mais quelque chose change, se transforme, se déplace, sans que personne ne me demande rien, sans que personne n’exige rien de moi, dans la plus parfaite autonomie, dans la plus parfaite autogestion. Ne pas manger de viande, ne pas boire d’alcool, ce n’est pas ce qui écrit mes livres à ma place, ce n’est pas ce que je veux, ni dire ni rien, d’ailleurs, mais c’est une partie d’un processus expérimental qui, peut-être, peut-être pas, on verra, oui, justement, c’est cela, l’expérience, on ne sait pas, on ne peut pas savoir, on ne peut pas prévoir, on verra. C’est pour voir qu’on a des yeux, non ?

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