J’avais déjà commencé cette page depuis 700 mots et je ne sais combien de quelques, je m’apprêtais d’ailleurs à y mettre un point final dans quelques quelques et quelque, quand, après avoir relu ce que je venais d’écrire, j’ai réfléchi un instant, et j’ai tout effacé. Dans cette page, à jamais indexée dans l’enfer informatique de mes écrits morts-nés, et dont je garde un souvenir précis qui me suivra dans la tombe sans que je n’en révèle le secret, je faisais la satire d’un membre éminent de l’autoproclamé underground littéraire français. C’était assez drôle, c’est ce que j’avais pensé en commençant à écrire, mais pas assez, c’est ce que j’avais constaté en finissant d’écrire. Il y avait quelque chose qui ne me plaisait pas dans cette page, comme si elle trahissait un certain malaise que je croyais pouvoir dissimuler derrière une ironie un peu trop convenue, une sorte de feint mépris qui dissimulait aussi mal qu’un cache-sexe la jalousie sous-jacente à toutes ces phrases, voire attirait l’attention sur cette dernière, en accord avec l’antique principe qui veut que ce qui cache révèle, déclarant haut et fort, malgré et contre moi : « Regardez ce pauvre petit Orsini : qui croit-il tromper ? Il se moque de nous parce qu’il n’arrive pas à la cheville des grandes figures que nous sommes et qu’il tente désespérément d’égratigner. Il essaie par tous les moyens de se donner le beau rôle — celui de l’écrivain raté qui se révèle être en réalité le génie incompris de son temps —, mais ne soyez pas dupes de ce vilain petit jeu de rôle, c’est un aigri, un médiocre, un envieux, un faux comique, oui, mais un vrai méchant ! » Parce que je n’étais pas bien sûr que cette voix n’eut pas raison, j’ai préféré tout effacer. Ce n’est que par honnêteté envers moi-même, par devoir de véridicité que je fais le récit de cet effacement volontaire, même si je préférerais taire pour toujours ces mauvais souvenirs. Alors, au lieu de récrire dans la foulée la page en question (je savais pourtant ce que j’allais écrire, mais ce n’était pas le moment), je me suis déshabillé, j’ai mis mes vêtements de sport, et je suis allé courir, un peu mieux qu’hier, un peu plus vite, certes, mais dans le prolongement surtout de la veille, comme suivant une courbe ascendante. Et c’est un fait : je me sens mieux. Difficile, à vrai dire, de ne pas lier ce mieux au moins, difficile de ne pas rapporter ce surcroît d’énergie à sa cause première et évidente : je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis 15 jours. Et, en effet, pour filer la métaphore de la courbe, m’ayant pas à remonter à intervalles réguliers la pente de fatigue que trace ma consommation d’alcool une fois l’excès passé, la platitude de la droite du boire (x=0) libère la courbe de la vitalité. Mais est-ce qu’en la matière lnx tend vers +∞ ? Il ne faut peut-être pas rêver.

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