25.1.22

J’ai arrêté la vidéo du comique juste après. Il devait être question des candidats à la Présidentielle et je m’étais dit : Et pourquoi pas ? ça ne peut pas de faire de mal de rigoler un peu, pas vrai ? alors j’avais cliqué sur la vidéo pour la regarder et le comique était apparu à l’écran et il s’était mis à parler : Salut, je m’appelle XXX, j’ai 37 ans et hier soir j’ai mangé un chili sin carne. Et c’est là que j’ai arrêté la vidéo du comique. Je n’avais pas envie d’écouter un type qui se présente comme ça. Cette manière de se situer dans un camp, je la trouve désagréable. C’est l’interprétation la plus débile qui soit de l’affirmation discutable, mais que plus personne ne prend la peine de discuter, selon laquelle « Tout est politique ». Parce que c’est quoi, l’identité, sinon choisir son camp dans la guerre pour prendre le pouvoir ? Moi, je ne veux pas le prendre, le pouvoir, je veux le rendre. Mais je donne trop d’importance à ce type, qui n’est même pas un comique, qui n’est même pas drôle, qui fait partie de tous ces crétins qui hurlent des insanités et les gens sont tellement désespérés qu’ils en rient. Pauvres gens. Je lui donne trop d’importance, il faut que je récrive cette page, mais je ne sais pas comment la récrire. Cela fait vingt-cinq jours que je n’ai pas bu d’alcool, un peu plus que je n’ai pas mangé de viande, mais j’accorde plus d’importance au fait de ne pas boire d’alcool parce que j’ai souvent considéré que ma consommation excessive d’alcool me posait problème, cela fait vingt-cinq jours que je n’ai pas bu d’alcool et, ce matin, au réveil, comme une sorte d’éclaircie dans la pénombre de la chambre à coucher dont les volets étaient encore fermés, en pensant à tout ce que j’avais écrit ces derniers jours, aux fictions que j’invente, aux notules que je consacre aux pièces de Morton Feldman, à cette critique du livre de GV que j’ai écrite hier, en pensant à tout ce que j’avais écrit ces derniers jours, je me suis dit que, peut-être, c’était ça, l’effet positif du régime sans alcool que je me suis imposé depuis plus de trois semaines et que, peut-être, il faudrait que je continue comme cela. Est-ce un effet que j’ai déjà observé lors d’une précédente période d’abstinence (décidément, je n’aime pas ce mot, « abstinence », qui me fait penser à « ascèse »), ce surcroît de travail, cette disponibilité intellectuelle accrue ? Je ne sais pas, je n’ai pas vérifié dans ce journal où, pourtant, j’ai déjà dû en parler. Rien de ce que j’ai fait ces derniers jours ne m’a rapporté le moindre centime, ce qui est un autre de mes problèmes, mais n’est-ce pas néanmoins du travail ? J’y pense un instant, et me dis : Non, c’est plus que cela : c’est l’œuvre. L’œuvre ne rapporte-t-elle rien ? Pour moi, si par « rapporter quelque chose » on entend « gagner de l’argent », la réponse est non. Mais, dans mon échelle de valeurs, l’œuvre est plus importante que l’argent. Ça ne me rapporte rien, mais j’avance, et c’est déjà ça. Oui, et puis, surtout, il faut que je continue d’avancer. Je peux arrêter toutes les vidéos débiles de tous les comiques débiles du monde entier, moi, il ne faut pas que je m’arrête.