6.2.22

Le monde vaut-il que je sorte de mon lit ? Rien n’est moins sûr. Alors quoi ? Demeurer là ? Pourquoi pas ? Mais jusqu’à quand ? Et en attendant quoi ? La fin des temps ? Que quelque chose change ? Sans moi ? Paradoxe, non ? Et puis, quand je dis « le monde », je n’entends pas le monde en soi, ce serait plutôt quoi ? disons le monde social ou, pour le dire avec un peu plus de précision encore, cette version-là du monde social. Et puis ? Comment ça, « et puis » ? Oui, et puis ? Rester au lit serait un acte révolutionnaire ? Ce n’est pas ce que j’ai dit. Et puis, je ne sais même pas si j’y crois ou si je n’y crois pas. Je reste dans l’odeur de la nuit, les yeux photosensibles et la tête lente en dehors, vive en dedans. Opposition binaire ? Non, remarque en passant. C’est tout. Je passe mes doigts (annulaires) d’un canthus à l’autre. Un canthus, des canthi. J’ai découvert ce mot en cherchant comment nommer la commissure des paupières. Commissure des paupières, commissure des lèvres. Qui, elle, elle, c’est-à-dire cette dernière, n’a pas de nom. Une manière de dimanche ordinaire. Oui et non. Même si, spontanément, je me sens plus porté à la déflation qu’à l’inflation, la déflation du sens, remède aux charmes envoûtants des effets de manche, peut-être, me dis-je, peut-être ne faut-il pas toujours tout banaliser, et profiter d’un instant, comme ça, qu’on dirait suspendu dans le temps, un étrange moment, fût-ce seulement la grasse matinée d’un dimanche matin paresseux. Qu’est-ce qui nous empêche, en effet, de voir les choses autrement ? Une grâce matinée. Le café est prêt. L’oreille droite me gratte. Quelle autre raison de me lever ? Je me mets quelque chose sur le dos, enfile une paire de chaussettes. Il y a toute une philosophie dans la banalité (ne lis pas : « une philosophie de la banalité »), les gestes ordinaires, si présents à nous-mêmes que nous n’y pensons même plus. Le rouge est sanguin dans le verre. Le jour est clair. Le bleu ciel du ciel tire sur le blanc. Un volume d’air dans un autre volume d’air. La lecture matinale du journal est d’une rare violence : tant de bêtise et si peu d’espoir, l’espèce humaine se complaît dans le spectacle qu’elle s’offre à elle-même, surjouant ses paniques avec un manque passionné d’originalité, dispensant sa morale dans les termes de telle ou telle des pseudosciences qu’elle s’invente pour se représenter en experte d’elle-même. Le problème n’est pas que tout soit fiction : le problème est que tout soit fiction qui s’ignore. Les gens affichent leurs goût bas de gamme sans vergogne aucune, confortés dans leur indigence par l’univers mental dans lequel ils se meuvent. Quel bonheur d’être médiocre en toute sérénité. Médite et oublie tout. Oublie tout et recommence. Le monde est cheap.