Après la pluie du matin, le ciel s’éclaircit peu à peu. Dans la pièce où j’écris, j’y vois un peu plus clair. Notant dans le cahier à spirale que je veux reprendre la page que j’ai écrite hier dans mon journal, je constate que près de deux années se sont écoulées entre le début de ce cahier et le moment présent. Je le sais par la date de la page du journal que j’avais indiquée vouloir reprendre dans les éclaircies et que j’ai recopiée hier. Ce temps, vu de l’intérieur, me semble long. Et pourtant, quand je lis par exemple sur la couverture de mon exemplaire d’Aurore de Nietzsche : « Fragments posthumes 1879-1881 », je ne trouve pas ce temps long ; ce ne sont que deux années (un hiver, une année, un printemps). Alors, je vois le temps de l’extérieur, et il n’a plus pour la même dimension. Je pourrais dire : « De toute façon, il faut le temps qu’il faut », phrase qui, d’une certaine manière, est imbécile (et pas seulement parce que c’est une tautologie) mais qui, d’une autre, est plus profonde qu’il ne le semble quand on la lit à la va-vite. Le temps peut être vécu comme une contrainte externe, d’autant plus quand on exige de soi-même d’aller toujours plus vite, mais il est aussi une contrainte interne : il faut laisser le temps aux pensées de se développer. Je peux avoir une révélation, celle-ci sera instantanée : en un instant, aussi vite que la pensée, je saisis l’essence de tout, mais le temps qu’il faut pour la dire cette révélation est sans commune mesure. Une révélation prend un instant, sa révélation prend une vie. Cela ne signifie pas que la révélation de la révélation est inférieure à la révélation elle-même, simplement qu’elles n’ont pas la même qualité, pas le même sens, pas la même intensité. Une révélation instantanée qui serait immédiatement oubliée n’aurait aucune valeur. C’est la révélation du poisson rouge qui redécouvre son bocal chaque fois qu’il en fait le tour. Il faut la faire durer. C’est la même chose, mes dis-je, avec les révolutions : le problème de toute révolution, c’est qu’elle ne dure pas. Le retour à la normale, pour ainsi dire, marque la fin de la révolution, et son échec, dans la mesure où la révolution se veut une rupture avec la normale. Il faut que l’écriture conserve l’intensité de la révélation, de la révolution, dans le temps parce qu’elle ne se consume pas en elle-même, elle est la durée, la trace qui ne s’efface pas. Météo : je laisse des traces dans le temps qui passe.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.