De toute façon, mais pourquoi ai-je eu l’idée de commencer une phrase ainsi ? Et quelle était la pensée qui devait la suivre, cette phrase ? Était-ce une façon de prendre position en surplomb, à la recherche d’une sorte de point de vue de Dieu, de me convaincre qu’à moi, à moi contrairement aux autres, bien entendu, on ne la fait pas, ou alors de m’avouer en quelque sorte vaincu. Mais vaincu par quoi ? Vaincu par moi, vaincu par toi, vaincu par tout. Je ne le saurai jamais, de toute façon. Le vent souffle si fort que le monde même semble trembler. Comme si le vent ne faisait pas partie du monde. (Et, par suite, le vent ne faisant pas partie du monde, comme si le monde ne faisait pas partie du monde.) Quelle idée bizarre d’exclure des entités du monde, dans une sorte de mouvement spontané de la pensée, entités auxquelles on attribue par ce mouvement même un pouvoir causal sur le monde. Dimanche, P. m’a parlé de cette poétesse de gauche qui avait répliqué à l’une de ses remarques : « La pensée, c’est pas mon truc. » Moi, je ne connais pas de poétesse de gauche, ni celle-là ni une autre, alors je ne risque pas d’avoir ce genre de conversations avec elle, mais j’aime à écouter P. m’en parler. C’est un peu comme si je la connaissais moi aussi, par son intermédiaire. Et puis, à P., je sais que je puis parler librement, nous nous comprenons, alors que je n’oserai jamais parler librement à une poétesse de gauche. C’est trop dangereux. La pensée, en fait, si par impossible, donc, je parlais à la poétesse de gauche, c’est ce que je lui dirais, la pensée, c’est le truc de tout le monde. Il y a une forme de paupérisme snob à voir dans la dévaluation des valeurs une façon de se rapprocher des masses opprimées. Alors que ce n’est que l’expression d’un profond mépris. Hier, sans que je perçoive ce faisant le rapport avec la conversation de la veille, j’ai écrit dans mon petit cahier au bison noir : « Pour une démocratie élitaire. » Qui n’est un oxymore qu’en apparence, j’en suis profondément convaincu, mais cette apparence d’oxymore lui donne une profondeur qui me semble répondre au profond mépris d’une certaine sollicitude gauche. Le vent soufflant trop fort à mon goût (et dans la réalité aussi avec des rafales à 80 km/h), je ne vais pas courir aujourd’hui, mais j’assume cette manière de paresse pour ce qu’elle est : une contrainte météorologique. Demain, le vent devrait tomber. Mais je n’irai pas courir non plus. Alors, si le vent ne revient pas d’ici là, jeudi, probablement. Je ne suis pas pressé. Un jour ou deux, cela ne fait guère de différence, de toute façon.

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