7.3.22

Matin parfait : pour cause de maîtresse absente, au lieu du chemin de l’école, avons pris le chemin des calanques. Marseilleveyre. Il y a quelque chose de vrai à être ici. J’ai beau penser avec Richard Rorty que la vérité est une propriété des phrases de notre langage, je ne vois pas d’autre façon de le dire. Une vérité qui ne se dirait pas, n’aurait pas besoin d’être dite. C’est ce que les philosophes et les poètes maladroits appellent l’ineffable, qui n’est jamais qu’un mot bouche-trou pour nommer tout ce que nous ne savons pas dire. Moi, je sais dire ce que j’ai à dire et, quand je ne le sais pas, je le cherche jusqu’à le trouver. À Daphné qui dit bonjour aux rares personnes que nous croisons dans le sens de l’aller, je dis que c’est bien, qu’elle a raison de n’être pas comme son père, qui est un ours, lui, mais d’être sociable. Peut-être que je me tourne plus volontiers vers la part silencieuse de notre nature pour trouver les réponses à mes questions : dans les paysages, dans les livres, dans le ciel pur, dans le parfum iodé de la résine maritime des pins, elle exhale au soleil, et des fleurs de romarin. Tout est bleu (même ce qui ne l’est pas). Peut-être ai-je tort d’adresser mes questions à qui n’a pas de langage, je ne sais. Mais que fais-je sinon creuser le roc de la médiation du langage et le plonger dans la mer de l’immédiateté où il doit se jeter ? Attention aux métaphores. Alors, certes, je puis le déplorer, il n’y a qu’en ce pourtour que se trouvent ces façons de voir le monde. Mais j’ai tort de le déplorer : elles sont comme des îles dans le désert mental de nos contemporains, des îles négatives, qui s’opposent à l’esprit du temps. Partout, c’est pareil. La vérité est isolée : qu’elle touche aux phrases, elle est la propriété de certaines, pas de toutes ; qu’elle touche au monde, elle est la propriété de certains, pas de tous. En haut du sentier qui conduit de la colline à la mer, au moment de prendre le chemin du retour, croisé R. que je n’avais pas vu depuis longtemps. Quelle probabilité pour qu’un tel événement ait lieu ? Plus élevée que je ne suis spontanément enclin à le supposer. À quoi touche la vérité, je ne le sais, mais parfois, je touche au vrai.