10.3.22

Cette semaine, la majeure partie de mon temps aura été occupée par Daphné. Ce qui n’est pas une façon de me plaindre, simplement de décrire la réalité. Dans quelle mesure, de fait, cette réalité-là ne vaut-elle pas mieux que toutes les réalités alternatives disponibles sur le marché ? Très vite, on ne sait plus très bien ce qui est le pire : la guerre en Ukraine ou la défaite du PSG ? Si je cherchais à prendre la pose, comme tout écrivain français digne de ce nom se doit de le faire, je dirais que tout est spectacle, mais je ne crois pas que ce soit vrai, je crois, en revanche, qu’il n’y a pas de différence ontologique entre un match de foot et une guerre ; — ce sont tous deux des événements. Nous accordons plus d’importance à certains qu’à d’autres, mais cela ne signifie pas que ces événements que nous valorisons aient plus d’importance que les autres. Nous en choisissons sur lesquels nous mettons l’accent, mais à combien pouvons-nous prêter notre attention ? Je ne doute pas que, dans quelques mois, des romanciers bien intentionnés publieront des livres en vers libres sur la guerre en Ukraine (ils sont déjà en train de prendre des notes, de consulter des anthologies de la poésie ukrainienne et de candidater pour une place en résidence de création), mais à part se donner en spectacle, quel effet cela pourra-t-il bien produire ? Qu’il y ait beaucoup de néant, de plus en plus de néant, cela ne signifie pas qu’il y ait peu d’être, de moins en moins d’être. Le néant fabrique de l’être, mais l’être ainsi produit est moins intéressant et moins vivant qu’une forme d’être qui n’en proviendrait pas. Cet être qui ne provient pas du néant, où le trouver ? Bien que cela ait quelque chose de passablement casanier — en tout cas, ce n’est pas à la hauteur des humanistes de service, ce n’est pas dans cette encre que se plonge la plume du grand écrivain en reportage sur le front du destin de la planète —, s’occuper de son enfant produit beaucoup d’être et pas de néant, produit de la vie, de la joie, malgré la fatigue, les pleurs, la diarrhée et le vomi. Alors que l’humanité occidentale se déchaîne pour apporter la preuve de sa moralité, pour montrer son union face à la tyrannie, moi, moins glorieux, moins héroïque, entre deux plages de publicité, je tâche de garder le cap : il ne sera pas nucléaire, non, mais, malgré le réchauffement climatique, l’hiver sera de plus en plus long, de plus en plus long et de plus en plus froid.