22.3.22

Ma proximité avec Nelly a quelque chose de déconcertant. D’effrayant, presque. Mais en bien. Cette phrase est étrange. Ce matin, par exemple, réagissant aux informations qui nous parviennent sans que nous ne réussissions à leur donner grand sens, je fais une remarque à propos du président ukrainien à laquelle Nelly répond en employant un adjectif que j’aurais pu employer, moi aussi, le concernant. Il nous arrive d’être en désaccord, sur des choses mineures, notamment, ou sur la littérature — je suis beaucoup plus intransigeant qu’elle dans mes goûts, en grande partie parce que je suis jaloux d’un succès que je n’ai pas —, mais globalement nous partageons une communauté de sentir et de penser, nous partageons peu ou prou la même vision du monde : nous formons un peuple à nous deux (plus une). En ce sens, la question politique par excellence : « Comment vivre avec qui ne pense ni ne sent comme soi ? » reçoit une réponse claire et définitive : « On ne le peut pas », quand même elle serait quelque peu expéditive, j’en conviens. On peut coexister avec qui ne pense ni ne sent comme soi, chacun chez soi, en quelque sorte, mais on ne peut pas vivre avec. La question corse, on a du mal à garder son sérieux en employant une telle expression, la question corse, dis-je quand même, si dérisoire soit-elle malgré son actualité navrante, révèle bien la confusion qui mine l’émergence d’authentiques peuples : la confusion entre ethnie et communité (le commun non-ethnique), qui se retrouve notamment dans la contradiction manifeste qu’il y a à célébrer la figure de Napoléon tout en revendiquant l’autonomie de l’île, voire son indépendance. Comme si hériter d’un patronyme par le hasard de la naissance devait déterminer toute une identité (ceci est une remarque à mon sujet). Loin de ces problématiques microscopiques, de fait, un peuple européen existe déjà qu’on empêche de naître en réduisant sa conception à des questions de basse politique économique tout en refusant d’admettre, contre l’évidence même, aveuglé par la question ethnique et le double linguistique qui la singe, la commune façon de penser et de sentir qui traverse le continent. Les émotions que je ressens à la lecture de la guerre et la paix font de nous deux, Tolstoï et moi, des Européens.