10.4.22

Ai voté aujourd’hui. Cela faisait vingt ans exactement que je ne l’avais plus fait. À cette époque, Le Pen affrontait Chirac et moi, obéissant à mon père, j’étais allé faire mon devoir. De fait, tout ce que j’avais fait, c’est l’imbécile. Voter Chirac pour faire barrage, quelle indignité. Mais passons, c’est du passé. Aujourd’hui donc, j’ai voté, moins pour m’exprimer que pour dire quelque chose à Daphné. Sur les douze énergumènes qui se présentaient, en effet, je n’ai rien à dire. Ils ne me parlent pas, ne m’intéressent pas, pour moi, ils n’existent pas. Il se trouve toujours un spécialiste pour t’expliquer que, si tu ne trouves pas ton bonheur dans l’offre politique, c’est que tu fais le difficile, eh bien oui, justement, je fais le difficile, cette vision de la politique, c’est une vision de consommateur (capitalisme), pas d’individu qui pense, agit. Daphné veut devenir présidente de la République. C’est pour cela que je suis allé voter, pour elle, pour lui dire : tout est possible, ne te laisse pas voler le monde, tu peux faire tout ce que tu veux, il s’en trouvera toujours un, tu sais, un pour briser tes rêves, et prétendre que c’est pour ton bien (mauvaise conscience), ses rêves l’ont été il y a bien longtemps, il ne fait que reproduire le mal dont il a été victime, il est malheureux, mais l’ignore, ne l’écoute pas, tu vaux mieux que lui, tu vaux mieux que ça, mon amour. Il y avait beaucoup de vieux dans la file pour aller voter. Même si j’encourage ma fille à devenir présidente de la République, je pense que la République, c’est fini. Il lui reste quoi, quinze ans, vingt ans ? Qu’avons-nous en commun avec nos ancêtres révolutionnaires ? Rien. C’est pour cette raison que nous haïssons le roman national, parce que nous nous haïssons nous-mêmes. Nous haïssons ce que nous sommes parce que nous avons oublié ce que nous fûmes. Et que nous serions bien incapables d’être. Dans un coin de l’appartement, Gustave Leonhardt joue les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Et sauve le monde. Avec la technique (enregistrement), nous avons peut-être perdu l’aura, mais nous avons gagné la possibilité de l’éternité. Tout ne mérite pas d’y passer, non, c’est bien le problème. Et la solution (le goût).