Est-ce que l’humanité mérite d’être sauvée ? je ne sais pas, mais la question, elle, mérite de l’être, posée. Seul dans l’appartement, je me parle à haute voix un long moment et, s’il me semble que je suis d’accord avec moi-même, je suis aussi un peu déçu de ne parvenir pas à me convaincre, — je l’étais déjà (je ne suis pas seulement d’accord avec moi-même, je suis en accord avec moi-même). Aussi, ne progressé-je pas ? Non, au contraire, j’ai les idées plus claires avant qu’après. Avant, s’il me semblait que j’avais des raisons de me déterminer comme je le fais, il me semblait aussi que ces raisons étaient passablement confuses, qu’il leur manquait quelque chose, non pas un fondement, nous n’avons pas besoin d’un autre fondement que celui dont nous jouissons déjà, une fermeté qui se tire non de la force mais de la clarté de l’expression. Le problème avec l’irrationalité, c’est qu’elle se pare des apparences de la rationalité, car elle n’est pas le contraire de la rationalité — l’irrationalité n’est pas privée de raison, au contraire, elle la manie à la perfection, parfois même mieux que la rationalité elle-même, à qui il arrive de tâtonner, de balbutier, de chercher, d’errer —, elle en est un usage dévoyé : la parodie. Quelqu’un qui explique comment il parvient à financer une mesure destinée à jeter quelques miettes de richesse à une population paupérisée paraîtra rationnel (il y a une virtuosité technique à jongler comme il le fait avec les chiffres, virtuosité qui fascine parce qu’elle donne le vertige), mais le fait que les écarts de rémunération entre les pauvres et les riches puissent être de 1 à 5000, sinon plus, ne l’est pas. Et rien ne fera jamais qu’il le soit. Et pourtant, l’apparence de rationalité l’emporte sur la réalité de l’irrationalité. D’où cette question que j’ai fini par me poser : l’humanité mérite-t-elle d’être sauvée ? et à laquelle je n’ai pas de réponse à apporter quand même, bien souvent, il me semble qu’une réponse négative ne serait pas un scandale pour la raison. Et si je suis enclin à faire cette réponse, ce n’est pas que j’estime que nous sommes d’odieux prédateurs, mais parce que nous sommes d’indécrottables imbéciles — ce qui est bien plus embarrassant. Des dizaines de milliers d’années d’évolution pour se retrouver écartelé entre l’avidité capitalistique et le yoga thérapeutique. Ce qui ne m’aura toutefois pas empêché d’aller courir ce matin, à mon rythme déterminé, toujours le même : 4 jours de course fois 1 heure de course par jour à la vitesse moyenne de 10 kilomètres par heure de course par jour égalent 40 kilomètres parcourus. Aussi parfaitement inutile qu’absolument nécessaire, tout est une question de point de vue. On me reprochera peut-être d’adopter le mien, mais on ne m’empêchera pas de le faire.

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