La politique est secondaire. « Politique », où j’inclus la religion, laquelle n’est jamais qu’une forme de politique pourvue d’un fondement outremondain (théocratie, monarchie de droit divin, etc.). Dire que la politique est secondaire, cela ne signifie pas qu’elle ne compte pour rien, mais qu’il y a plus ancien dans la chaîne des raisons, qu’elle est le produit dérivé de son ancêtre dans l’ordre des raisons. Les positions politiques ne sont en effet que des conséquences des réponses apportées aux questions d’épistémologie élémentaire (« élémentaire » ne veut pas dire simple, mais « premier » au sens des éléments dont quelque chose est fait). Ai-je un accès direct à la réalité ? Mon langage s’accroche-t-il au monde ? Et si oui, comment ? Et si non, pourquoi ? Y a-t-il de l’indicible ? Ces questions ne sont pas des questions théoriques ; les réponses qu’on y apporte déterminent des attitudes face à l’existence, orientent nos croyances quant à ce que nous sommes ou non capables de faire, délimitent le périmètre de l’étendue de mon action. Qui pense ne pas avoir d’accès direct au monde aura besoin d’un médiateur entre le monde et lui, la compréhension, l’action n’étant possibles que par l’intermédiaire d’un tiers qui éclaire, autorise, facilite, permet, etc. Qui pense qu’il y a de l’indicible se trouve en défaut dans la relation entretenue avec ce qu’il y a de plus intime et qui se trouve en même temps être le plus public : le langage. Croire que la politique est première, c’est se condamner à l’impuissance, se rendre dépendant du pouvoir, s’abandonner au pouvoir. Ce n’est pas l’organisation sociale qui détermine notre rapport à l’existence, c’est notre rapport à l’existence qui détermine l’organisation sociale. L’émancipation n’est pas une affaire (de) politique, c’est une question épistémologique. Me tenant au monde, je m’y oriente avec des facultés et des outils qui fonctionnent sans nul besoin d’un fondement ou d’une aide au-delà. Tout ce dont nous avons besoin pour nous conduire dans l’existence se trouve ici, dans le monde où nous nous tenons et où nous vivons. En ce sens, la démocratie, et en ce sens il faudrait probablement lui donner un autre nom que « la démocratie », n’est pas un régime politique parmi d’autres, c’est l’organisation sociale de notre rapport à l’existence, elle ne se situe pas au-delà de nos capacités ordinaires, elle en est la mise en commun dans certaines circonstances précises et clairement définies. Prétendre que tout est politique (la définition même du totalitarisme), c’est prétendre que nous ne pouvons pas penser, parler, agir, vivre sans la médiation de l’organisation sociale, laquelle n’est plus dès lors une communisation de nos facultés et de nos outils, mais ce qui transcende nos facultés ordinaires, l’origine sans la médiation de laquelle ces facultés ne sauraient fonctionner. Nous n’avons pas besoin que tout soit politique parce que la politique n’est pas tout.

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