I fell in love with my children. C’est ce qu’il avait dit. Et plus tard, des années plus tard, quand j’aurai moi aussi un enfant, en y repensant, je me dirai que Daphné m’aura immédiatement fasciné. Parfois, je ne la supporte pas, c’est vrai, mais elle me fascine. Je lui avais demandé s’il pensait que vivre un an à Paris allait influencer sa manière d’écrire et il m’avait répondu que c’était encore trop tôt pour le dire. La vérité, c’est qu’au bout d’un an, il était toujours incapable de dire la moindre phrase en français. C’était un écrivain américain qui écrivait des romans post-derridéens, une vulgate pas très intéressante, mais suffisamment digeste pour être traduite en français, le genre de livres où il arrive des histoires à des universitaires, quoi. Qui peut bien avoir envie de lire ça ? Pas moi. Mais c’est vrai que, moi, personne ne me lit. Alors, ce que j’en pense. Nous déjeunions dans un restaurant du sixième arrondissement et ce fut une expérience passablement décevante. À cette époque, je n’avais encore rien publié, ou à peine mon premier livre, et peut-être que j’attendais trop, je ne sais pas, toujours est-il que je n’ai rien eu, pas de révélation, rien, que le sentiment d’un air renfermé qu’on brasse indéfiniment ; — l’époque de la climatisation. De fait, tout ce dont je me souviens de cette rencontre-là, c’est ça : qu’il ne sache pas parler un mot de français au bout d’un an passé à Paris et son I fell in love with my children. Comme s’il parlait d’étrangers qu’il avait découverts ou quelque chose comme ça, comme s’il entretenait une relation distante avec les autres, comme s’il était enfermé dans son univers d’où il lui était impossible de sortir ; — le campus. J’extrapole, mais c’est le souvenir que j’en garde. Je me sens très proche de Daphné, face à laquelle je m’émerveille, même si elle est parfois impossible à vivre, et l’idée qu’on puisse ne pas avoir ce lien charnel avec son enfant me semble inconcevable. Mais c’est sans doute moi qui ai tort. Je contemple les mille incarnations de Daphné, une sorcière, une princesse, un chevalier, une ballerine, Guenièvre, Artémis, Athéna, et me demande : comment se fait-il que nos vies soient si pauvres au regard de la sienne ? Comment faisons-nous pour n’étouffer pas, nous qui nous tenons enfermés dans notre existence étriquée ? C’est ce que je voulais dire, je crois, hier matin, à Nelly, avec cette image du bocal où se trouve notre tête que nous remplissons en nous exprimant et dans lequel nous finissons par nous noyer. L’ultracommunication, l’enthérapisme, le culte de l’identité, fluides comme le liquide qui envahit nos poumons. Trop de phrases toutes faites, trop d’idées toutes prêtes, et si peu d’imagination. Rien ne va de soi. Hier, Daphné a commencé par jeter le casque qui devait compléter son déguisement d’Athéna, de rage, avec les larmes et les cris, tout, parce que c’était de la camelote, disait-elle en pleurant, ce que c’est en effet, de la camelote, elle a l’œil juste de qui ne se trompe pas, et puis elle a fini par l’adopter, peut-être que son regard a changé, ou alors a-t-il trouvé une place dans son imaginaire. Et c’est vrai, c’est vrai, qu’elle a tout l’air d’une déesse grecque, ma nymphe parisienne.

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