3.6.22

Parfois, par exemple quand je me promène dans la rue, c’est en tout cas là que ce phénomène s’est produit pour la dernière fois, pas plus tard que ce matin, je souris, je ris en pensant à Daphné. Peut-être sont-ce les premiers signes de la sénilité, auquel cas elle ne doit rien avoir de bien terrible, et je serais plutôt enclin à l’accueillir avec joie. Peut-être pas, et alors, c’est simplement que le simple fait de penser à elle me rend heureux. Non que je sois sempiternellement transi d’admiration devant mon enfant, mais je l’admire, c’est vrai, c’est ce que j’avais dit à la neuropsychologue, et c’était vrai. Tout à l’heure, quand je me promenais dans la rue et que je souriais, je riais en pensant à elle, je ne souriais ni ne riais parce que je l’admirais, mais je pensais à quelque chose de beau, même si je ne me souviens plus de quoi. Parfois quand cela se produit, ce n’est même pas à la Daphné réelle que je pense, puisqu’elle n’est pas là, évidemment, mais ce n’est pas ce que je veux dire, ce n’est pas à la Daphné existante que je pense, mais à une autre Daphné, une Daphné que j’infère des comportements de la Daphné réelle. Peut-être sont-ce là les première signes de la folie, auquel cas, si elle a les traits de Daphné, je suis prêt à l’accueillir avec joie, une folle joie, quoi. Est-ce que cela fait de moi quelqu’un d’heureux ? Je crois, oui. C’est fou, on ne devrait pas être heureux, on devrait être très malheureux, au contraire, on a toutes les raisons de l’être, il suffit de sortir de chez soi et de regarder autour de soi, parfois même pas, il suffit de rester chez soi et de regarder au-dedans de soi, mais le malheur, s’y complaire est une objection, ou du moins est-ce la phrase que j’ai lue dans le carnet à spirale où sont notées mes éclaircies. Les notes pour la légèreté de l’esprit, je m’en rends compte en les recopiant ces derniers jours, s’intègrent parfaitement à cet ensemble dont elles semblent former une partie naturelle, un membre, c’est-à-dire. Je ne sais pas si je vais continuer à recopier les 206 numéros qui, à ce jour, composent donc désormais ce sous-ensemble des éclaircies, mais le faire m’a permis d’y voir clair, et de retrouver une beauté que je croyais perdue et d’avancer, de progresser. Toujours. Questions auxquelles je n’ai pas de réponse : Faut-il numéroter tous les aphorismes ? Faut-il n’en numéroter que certains ? La numérotation doit-elle être continue ? Doit-elle reprendre avec chaque partie ? Quand dois-je considérer l’ensemble fini, achevé ? Dois-je renoncer à atteindre une considération de ce genre (l’ensemble pouvant se prolonger indéfiniment, sans début ni fin, spirale) ?