Tard dans la nuit, j’ai pris des notes dans mon cahier. Tard dans la nuit, enfin, pas tant que ça, il n’était pas encore minuit, je m’en suis aperçu quand j’ai vu l’heure du message que m’avait envoyé C. pour nous inviter à déjeuner, dans le bison rouge, notes pour un livre en cours ou alors, peut-être, notes simplement pour avancer dans le cahier lui-même, pour en venir à bout, et en commencer un autre, sous la couverture qui restera toujours la même. Hier, dans le journal, envie de frapper quelqu’un très fort (l’auteur de l’article en question, je suppose) à la lecture d’un article consacré au livre de souvenirs que la veuve d’un célèbre éditeur décédé dans un accident de voiture il y a quelques années de cela a consacré à feu son mari. Évidemment, la démocratie, dont la presse constitue un rouage décisif, évidemment, la démocratie interdit le recours à la violence, mais la violence larvée, cachée, dissimulée du mensonge, de l’affaissement de la pensée, n’est-elle pas plus dure encore que celle des coups qu’on aimerait donner, mais qu’on ne donnerait pas, de toute façon, quand même on serait en situation de le faire ? La veuve tient des carnets, mais elle doit beaucoup travailler pour que les carnets se transforment en livre, dit-elle en empruntant une métaphore picturale (son autre activité, c’est peintresse) qu’elle souligne lourdement, et puis, à la fin de l’article, dans un moment d’inconscience ou dans une sorte de confession involontaire, l’auteur de l’article a pris soin d’adjoindre à ses dithyrambes un extrait de l’ouvrage en question, extrait où apparaît dans toute sa splendeur la nullité de la chose commise, et la supercherie complaisante de ce grotesque rouage de la démocratie. C’est comme l’histoire de ce président d’un pays du tiers-monde qui, s’étant voulu Zeus, et n’ayant pas réussi à l’être, comme l’on s’en pouvait douter, tenta de se réinventer en Héphaïstos, c’est-à-dire en dieu difforme, boiteux et cocu que sa mère, jalouse de Zeus, qui donna naissance à la parfaite Athéna, enfanta seule et rata si lamentablement qu’elle le précipita dans la mer du haut de l’Olympe. Pas de quoi faire rêver le petit peuple, à moins que ni le souverain chétif ni le petit peuple en question, ne sachant rien, ne comprennent rien à rien. N’est-ce pas d’ailleurs l’impression constante que l’on a : que plus personne ne comprenant rien, le langage se perd dans une sorte de logorrhée imbécile, ce qui n’est pas grave, puisque plus personne ne comprend rien à rien ? Je jette un coup d’œil sur mon carnet. Bien sûr, parfois, j’écris simplement pour écrire, non pour le plaisir d’écrire, ce n’est pas cela, non, pour écrire, à cause de la nécessité simple, mais élémentaire, c’est-à-dire : vitale, d’avancer. Qui peut comprendre cela ?

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