5.6.22

Tout en marchant, je dresse des listes dans ma tête. Activité spontanée dont j’ignore le but, qui n’est peut-être pas autre que de fonctionner, de faire fonctionner le fonctionnement, et de l’intérêt de laquelle je doute tant il me semble que je ne fais jamais rien de ce que j’ai décidé de faire. Ce n’est pas vrai, non, bien sûr que ce n’est pas vrai, mais on n’est pas toujours bien disposé envers soi-même, n’est-ce pas ? Ce matin, en tout cas, moi, c’est mon cas. Pour changer de disposition envers moi-même, de disposition d’esprit, je décide de faire varier de façon continue la disposition de mon corps pendant un certain temps. Je fais un grand tour au cours duquel le sublime et l’abject se succèdent, et sans doute y a-t-il peu de sublime et beaucoup d’abject, en vérité, mais je n’ai pas envie de le dire. C’est une remarque que je me suis déjà faite, mais je me trouve négatif, trop négatif, tellement négatif. Qu’est-ce que j’ai à proposer ? C’est quoi, mon truc ? Est-ce que je n’en ai pas ? Car n’est-ce pas là que tout se joue : il faut avoir un truc, il faut avoir quelque chose à vendre ? et moi, qu’est-ce que j’ai à vendre ? Après tout, ce n’est pas parce que c’est à vendre que c’est nécessairement mauvais, il y a des tas de bonnes choses à vendre, mais qu’est-ce que j’aurais moi à vendre ? C’est quoi, mon truc ? Je m’arrête un instant, je me tais, je réfléchis. Mon truc à moi, je dirais : c’est la paix de l’âme. Oui, c’est ça, la paix de l’âme. Je me remets en marche, toujours réfléchissant, et ajoute : je peux te montrer comment on parvient à la paix de l’âme. Comment, qui plus est, c’est très simple d’y parvenir. Il y a un point de départ très simple à partir duquel, tu verras, tout s’équilibre, tout trouve sa place dans l’univers, toi, tu trouves ta place vis-à-vis de toi-même et ta place vis-à-vis de l’univers, et réciproquement. C’est quoi, ce point de départ ? Eh bien, le voici : l’âme n’existe pas. Tu vas me dire que je me moque de toi, que je me moque du monde, mais non, mais non, pas du tout, au contraire. À partir de là, je te garantis la paix de l’âme. Il suffira de m’écouter. D’avancer avec moi, pas à pas. Je ne dis pas que c’est facile, je ne dis pas que tout est facile, c’est plutôt le contraire, non, je dis que tout est simple, qu’une fois qu’on est parti du bon point de départ, tout trouve sa place dans l’univers, ce qui n’a pas d’importance se vide littéralement de son sens et ce qui en a s’éclaircit peu à peu jusqu’à devenir limpide. Tu apprendras à résoudre les contradictions et tu les résoudras, en effet, et tout ne sera pas simple, non, je le répète, mais tu le comprendras, et le monde sera ouvert, là devant toi, dans ce qu’il a de sublime et d’abject — ne crois pas que tu sauveras le monde, on ne peut pas le sauver, il n’y a rien à sauver —, et tout sera clair, même la pénombre sera claire pour toi.