La cause du malheur de l’existence : une chose qui n’existe pas. Toute thérapie digne de ce nom tient dans cette formule. Je crois que j’ai appelé ça un jour, une thérapie du nihilisme, laquelle thérapie se tient dans une sorte de rapport inverse avec le nihilisme thérapeutique : là où le nihilisme thérapeutique recommande le non-traitement, la thérapie du nihilisme prescrit le néant, en sa reconnaissance, pour guérir. Reconnaître que la cause de nos maux n’existe pas, reconnaître que, pour échapper au néant, nous imaginons des entités auxquelles nous en venons à croire comme à des réalités, ce qu’elles ne sont pas, reconnaître que c’est de là que provient le malheur de l’existence, là que se trouve l’origine de notre existence de malheur : nous sommes obsédés par des non-êtres, nos mythes, nos fantasmes, nos illusions. Et ces obsessions ne tiennent que par l’espèce de pouvoir hypnotique de ces illusions, d’autant plus hypnotique qu’elles ne sont que pures chimères : dans le domaine de l’imaginaire, nous pouvons façonner des objets parfaits, des objets sans faille et, les faisant passer en contrebande dans le monde réel, nous lancer à la poursuite de ce qui n’existe pas. Le point commun avec le nihilisme thérapeutique : c’est au malade de se guérir lui-même. Tout ce que l’on peut faire pour l’aider, c’est mettre à sa disposition des outils pour parvenir à la reconnaissance du néant, du non-être, de l’inexistence. Et ce n’est pas rien, c’est même décisif : il faut de bons outils pour se fabriquer des armes pour mettre à bas nos illusions et formuler des phrases qui ne soient plus l’expression de nos illusoires représentations, de nos fantasmes délirants, de nos mythes destructeurs. Mais ne te trompe pas : le problème, ce n’est pas l’imaginaire, c’est l’usage de l’imaginaire. Inventer une vie meilleure n’est pas un mal, au contraire, c’est une activité nécessaire. Les ennuis commencent quand on ne sert plus de l’imaginaire pour inventer une vie meilleure, mais pour humilier cette vie-ci, montrer du doigt l’individu qui la vit, le pousser à se haïr, lui intimer l’ordre de se réformer, lui faire des promesses qui ne reposent sur rien, qui ne reposent que sur du rien en prétendant que c’est du réel. Ce qu’on pourrait appeler : l’abolition politique de la frontière entre le réel et la fiction, où la fiction envahit le réel de l’individu pour le condamner. Les contes fantastiques ne tombent jamais dans ce piège totalitaire, dont la possibilité de parcourir la frontière entre fiction et réalité est la découverte décisive : le narrateur est d’autant plus terrifié par ce qu’il lui arrive qu’il n’est pas fou, qu’il sait faire la distinction entre la réalité et la fiction, qu’il la fait parfaitement, et que se produisent pourtant des choses qui ne devraient pas se produire, que deviennent réelles des choses qui ne le sont pas. D’où l’importance de l’atmosphère dans les contes fantastiques parce que l’atmosphère se tient à la frontière entre la réalité et la fiction, c’est un climat, une impression, c’est impalpable, c’est un je-ne-sais-quoi, c’est fragile, il suffit d’un rien pour qu’il n’en reste plus rien. Une atmosphère est le contraire d’un miracle : les lois de la nature, comme on disait jadis, ne sont pas suspendues, rien ne les enfreint, et pourtant, il y a quelque chose d’étrange, ça se sent. Au lieu de croire, c’est ce que je veux essayer de dire en faisant ce bref détour par le fantastique, il faut apprendre à sentir. Au lieu de foi, il nous faut un sens esthétique, lequel est toujours un sens éthique. Cela, ce n’est pas les dogmes qui nous l’apprennent, mais certains livres et l’expérience possible qu’ils nous proposent de faire. Et notre capacité à en faire bon usage.

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