7.6.22

Le parfum du café chaud dans la cafetière me rappelle quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Peut-être le parfum du café chaud dans la cafetière de la veille ou du jour avant la veille ou d’un jour quelconque avant. Je bois du café tous les jours, ou presque, à de rares exceptions. Est-il nécessaire que je me souvienne de ce à quoi ce parfum me fait penser ? Le parfum des tilleuls que le vent qui vient de tomber brusquement avant de reprendre un peu moins fort me semble-t-il quoique je puisse me tromper pousse jusque dans la pièce où je me trouve ou que je sens tout autour de moi quand je cours et qui rend l’atmosphère si épaisse que l’air en est presque irrespirable, je sais ce qu’il me rappelle : le parfum des tilleurs de l’année dernière à la même époque, mais quand je pense à ce parfum et à ce qu’il me rappelle, je ne pense pas simplement au parfum que j’ai senti l’année précédente et l’année d’avant, etc., je pense aussi à Berlin, je pense à cette fille qui m’avait dit que sa passion pour l’infusion de tilleul datait de la période de sa vie qu’elle avait passée à Berlin, je ne sais plus quand, cela n’a pas d’importance, c’était il y a si longtemps, tant de gens sont morts depuis lors, et caetera, mais rien de tout cela n’est contenu dans le parfum du tilleul, le parfum du café, le parfum. Accueillir le néant, c’est s’abandonner au néant, c’est abandonner le néant. C’est ce que, à la suite de mes pensées de ces derniers jours, j’ai pensé tout à l’heure. Personne ne s’est encore manifesté pour suivre ma thérapie (ma thérapie nihiliste, peut-être est-ce le mot nihiliste qui fait peur, peut-être que je devrais appeler la méthode du congé, au sens de prendre congé du néant), je me contente donc de l’appliquer à moi-même, de me défaire du néant par le néant, de l’embrasser en m’abandonnant à lui pour l’abandonner. Ces réflexions, peut-être un peu étranges pour qui a une autre tournure d’esprit que moi, mais je ne le crois pas, ces réflexions sont solidaires d’une question que je me pose depuis quelque temps et qui consiste en ces quelques mots : comment concevoir une spiritualité sans transcendance, sans culte, sans rituel, sans surnature, sans rien ? question qui revient à se poser cette autre question : comment concevoir une spiritualité sans spiritualité ? autrement dit : comment ne pas se laisser dominer tout entier par la société de consommation sans pour autant tomber dans le piège des transports mystiques ? Comment flotter ? Comment trouver son incarnation désincarnée ? Quelle drôle de question. Faut-il s’arrêter quand on commence à se poser des questions de ce genre, bizarre, qui semblent hésiter entre le sens et le non-sens ? Peut-être se promènent-elles, ivres, le long de la frontière entre le sens et le non-sens, la fiction et la réalité, une chose et une autre, qui semble être son contraire, mais ne l’est pas tout à fait, quand on parcourt la route qui suit le tracé de la frontière entre l’une et l’autre, qu’on prend son temps, qu’on avance comme ça, tranquillement, non pas tranquillement, en étant tout sauf tranquille, en étant attentif, mais en se laissant le temps de faire les choses, de faire les choses bien, peut-être qu’alors, parce qu’on y regarde de plus près, peut-être qu’alors, la chose et son contraire offrent une physionomie différente, elles ne cessent pas d’être l’une le contraire de l’autre, l’une ne devient pas l’autre, elles ont toujours le même visage, mais ce visage n’a plus le même aspect, et c’est le plus important, dans un visage, l’aspect du visage. Dans un visage ou dans un parfum, dans ce qui apparaît.