M’aperçois un peu tard qu’à force de vouloir corriger les autres, j’oublie de me corriger moi-même, en arrêtant par exemple de vouloir corriger les autres. C’est comme si l’esprit avait besoin d’excitation, qu’il lui fallait quelque chose pour fonctionner, à tout prix ; c’est la perversion de la raison (Musil et Adorno en ont parlé) qui, ne pouvant pas ne pas s’exercer, porque el sueño de la razon produce monstruos, trouve toujours un nouvel objet et s’acharne sur lui et puis passe à un autre et, sans fin, s’acharne à tout détruire, y compris elle-même, ce qui ne prend pas toujours les formes catastrophiques mises en évidence par Musil et Adorno, non, mais, même quand les formes n’en sont pas catastrophiques, lorsqu’elles sont plus ordinaires, plus banales, elles n’en sont pas moins graves. Un peu tard, c’est-à-dire que j’ai déjà perdu du temps à le faire, à me retenir de le faire, à changer d’avis, à trouver un autre objet pour exercer ma critique, à me reprendre, à recommencer, et puis, comme il fait chaud, tout cela me fatigue et, à la fin, c’est-à-dire : maintenant, je ne sais plus très bien ce que je dois faire, ce que je dois dire, si seulement j’ai quelque chose à dire, ou simplement du mal à faire, du mal à dire des autres. Certes, ce n’est pas littéralement du mal, mais la raison est liée au mal, comme Musil et Adorno l’ont bien vu. Raison pour laquelle on n’éliminera jamais le mal de l’existence, ou alors en éliminant l’existence, ce que certains sont prêts à faire, qui veulent en finir avec l’humanité pour libérer la planète de ce qu’ils considèrent comme notre intrusion, mais chut, ce n’est pas ce que je veux dire, je ne veux pas dire de mal, quand même on voudrait me faire du mal. Mais alors qu’est-ce qu’il me reste à dire ? Quand tu as écarté le négatif, que reste-t-il ? Pas l’intention de m’en tirer en disant que le négatif contient déjà du positif, mais à quoi est-ce que je crois sinon aux pouvoirs de la raison laquelle est incapable de vaincre jamais les ennemis de la raison, parce qu’elle doute sans cesse, de tout, et donc d’elle-même ? Pourquoi est-ce que plus personne ne croit aux pouvoirs de la raison ? Quelqu’un y a-t-il jamais cru ? Nous sommes d’ennuyeux et bavards défaitistes.

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