25.6.22

Sur un mur de la grande banlieue d’Aix-en-Provence, inscrite à l’imitation du style tag, cette exclamation menaçante : « ATTENTION VOISINS VIGILANDS ! », laquelle va en effet comme un gant à la horde d’analphabètes xénophobes qu’on devine en être à l’origine. Je me dis, mais c’est à peine cette inscription qui suscite cette idée, c’est un fond  de vie sur lequel mes vagues mentales roulent depuis trop longtemps peut-être, je me dis : quand tout aura été saccagé, nos descendants se plaindront-ils en quelque façon, se rebelleront-ils d’une manière ou d’une autre contre ce fatras insensé que nous leur aurons légué ou bien feront-ils comme si c’était une fatalité, comme si, les choses étant ainsi, elles ne peuvent pas être autrement ? Et nous ? C’est facile d’accuser les autres, les boomers, les bougnoules, les juifs, les fachos, les gauchos, mais quand tu te regardes en face, trouves-tu ce que tu vois particulièrement reluisant ? (Pas moi.) Te regardes-tu seulement en face ? (Pour une fois, ne mens pas, ne te mens pas.) Arrière-pays provençal, donc. Chaleur sèche de l’été. Vent qui adoucit l’atmosphère, la rend respirable à l’ombre. Parfum de figuier. D. explique à Daphné, qui ouvre des yeux immenses, fascinée, le rapport entre les illustrations de Miquel Barceló et le texte de la Comédie de Dante. Donc quelque chose est possible. Mais faut-il toujours que ce soit rare ou est-ce qu’on s’en aperçoit seulement parce que c’est rare ? Je voudrais répondre, je voudrais dire que je sais, mais ce n’est pas vrai, alors je cherche des solutions à des problèmes qui n’existent que pour moi et deux ou trois phénomènes cosmiques avec qui nous pensons en harmonie, pas exactement la même chose, non : en harmonie. L’identité n’est pas intéressante, c’est l’accord qui compte, des âmes, des volontés, des notes entre elles, parfois même ça dissone, mais c’est si beau quand ça sonne. Pourtant, il y a trop de monde sur la route, et ce n’est pas rare, mais tristement banal, comment se ferait-il alors que je m’en aperçoive ? Schubert, Forellenquintett (hier au soir, dans le casque) et Trio pour piano n°1 (celui-ci, ce matin, en me rasant) et puis, à la demande de Daphné, dans la voiture, les sonates de Scarlatti par Scott Ross.