Hier, cependant que j’étais en train de leur parler, je me suis rendu compte que je racontais n’importe quoi à des gens, des gens que je ne connaissais pas vraiment, avec qui je me trouvais sans le vouloir vraiment, à qui je me sentais obligé de parler pour ne pas paraître totalement asocial et, ne me sentant pas capable de leur dire ce que je pensais vraiment, je m’étais mis à leur raconter n’importe quoi et à m’en rendre compte, mais sans pouvoir toutefois m’en empêcher, sans parvenir à m’arrêter de parler, comme si j’étais pris d’une frénésie de parole qui me poussait à aller au bout de mes phrases qui étaient toutes plus imbéciles et ineptes les unes que les autres, j’étais là et, comme je ne pouvais tout de même pas leur dire que je m’apprêtais à quitter Marseille parce que je trouve que c’est une ville pourrie, Marseille, on ne peut pas dire ça à des gens qui y vivent et semblent heureux d’y vivre, ce n’est pas poli, je me suis mis à raconter tout un tas de choses absolument ahurissantes qui ont dû me faire passer pour une espèce de franchouillard raciste ou quelque chose dans le genre, alors que je m’efforçais simplement de faire la conversation. Quelle idée stupide. Tu me diras, mais qu’est-ce que tu faisais là ? et, en effet, on est en droit de me poser la question, moi-même je me la poserais à ta place, et si je ne l’ai pas fait c’est parce que je savais que j’étais là pour faire plaisir à Daphné, quitte à raconter n’importe quoi et à passer pour un horrible raciste, ce que je suis peut-être, après tout. Est-ce pour cette raison que j’ai décidé de débrancher les réseaux sociaux plus tard dans la soirée, un peu avant de me coucher ? Sans doute que non, mais on ne peut pas l’exclure totalement non plus. J’ai beau être convaincu que ce ne sont que des tuyaux et que les tuyaux font leur office quelle que soit la matière qu’on injecte dedans, j’entends par là : qu’ils ne sont pas débiles par eux-mêmes, ce sont les usagers qui les rendent débiles, il faut bien constater que moi, ils me rendent plus bête que je ne le suis déjà. C’est une forme d’intoxication mentale qui gagne la planète entière sans que nous ne semblions en mesure d’y faire quoi que ce soit : chaque jour, nous contemplons le spectacle de notre devenir de plus en plus bête et, tout contents, nous applaudissons des deux mains à cette navrante scène qui se répète inlassablement. Il y a aussi que j’ai eu des échange de messages des plus déplaisants avec des gens qui essayaient de m’expliquer que je n’avais rien compris la sociologie (de gauche) et qu’en fait, j’étais un nazi (de droite), j’exagère à peine, et que, échangeant au contraire des courriers bien plus intéressants avec R. à propos de mon prochain livre et, une chose en entraînant une autre, à propos de l’état du monde en général, je me suis aperçu que je perdais mon temps, que je le gâchais volontairement, que je me faisais l’esclave consentant de cette abjecte société de la communication, que j’étais chaque jour un peu plus dépossédé de moi-même. Comme dans cette conversation où je me suis empêtré tout seul au point de raconter n’importe quoi, rien que pour paraître comme tout le monde alors que non, que cela me plaise ou non, c’est un fait que non, je ne suis pas comme tout le monde. La vie sociale est une intoxication volontaire, et il n’y a pas grand-chose que je puisse y faire parce que je ne peux pas faire que je ne vive pas dans le monde social, que je le veuille ou non, j’y suis relié, je lui appartiens, il me traverse et me constitue pour partie, fût-ce la plus détestable de moi, il me faut en tirer le meilleur, et apprendre à fermer ma gueule de con tout en semblant poli.

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