14.7.22

Mais que vais-je bien pouvoir faire de moi-même ? Ce journal, et aujourd’hui je le perçois avec une acuité toute particulière, ce journal n’est qu’une manière de thérapie qui pallie mal, je le crains, l’angoisse que me cause la difficulté presque insurmontable de trouver un éditeur pour publier ce que j’écris, angoisse encore accrue, comme si ce n’était pas déjà assez, par l’indécidabilité de la question : est-ce parce que le monde est pourri ou parce que je suis nul ? naturellement indécidable puisqu’il se pourrait tout à fait que le monde soit pourri et que je sois nul. Alors j’écris ce journal. Fait-on pire raison ? Imagine, par exemple, que tu doives vendre ton produit à un client potentiel, t’y prendrais-tu de la sorte pour le convaincre que c’est ton produit et pas un autre qu’il faut acheter ? Non. Pourquoi le fais-je dès lors ? Parce qu’il ne faut pas mentir. Parce que, au-delà du caractère thérapeutique de ce journal, une exigence de véracité en est à l’origine. Dussé-je être la dernière personne sur terre à dire la vérité, je n’y renoncerais pas. Tu te doutes bien, en effet, que le vendeur ne dit pas toute la vérité à son client potentiel ; pour lui, l’essentiel, ce n’est pas la vérité, c’est la vente. Pour moi, c’est le contraire. Est-ce que cela signifie que les autres mentent ? C’est probablement imbécile, mais il m’arrive de me poser la question, oui. Tu te rends compte que, disant cela, tu flirtes avec la folie pure ? Alors empruntons un détour. Par la fenêtre entre le rivage et les îles, la mer, d’un bleu parfait, incarnation de la beauté, la Méditerranée, pour laquelle, tous les ans, des millions de personnes s’endettent, séjour d’une semaine ou quinze jours. Et pourtant, à cause de sa position stratégique entre deux continents, c’est un cimetière humain, et pourtant, à cause de sa quasi fermeture géographique, c’est la mer la plus polluée du monde. Qui pourrais-je croire, quand la beauté et la laideur, le bien et le mal se compénètrent à ce point ? Je ne puis croire que moi, moi qui ne crois en rien.