17.7.22

Pour sentir l’existence, ce matin, je suis sorti marcher, sous ce ciel d’un bleu parfait, inaltéré, qui m’indifféra superbement. Levant soudain la tête vers lui comme je ne l’avais pas fait depuis le réveil, je m’en moquai, et peut-être fut-ce pour cette raison que je le pris en photographie, pour en garder le souvenir, et la preuve de mon indifférence superbe. Il faisait chaud, mais cela ne me gênait pas pour marcher, d’autant que, me dis-je à présent, il ne faisait pas si chaud que cela, au contraire, et de toute façon je ressentais un supplément de plaisir à me dire que je marchais dans la chaleur, comme si c’était une manière de me soumettre à quelque épreuve, ordalie climatologique, — si tu survis à la canicule, alors, si tu survis à la canicule, alors quoi ? alors rien, la quasi totalité de la population va survivre à la canicule, d’où son côté ridicule, climatosympathique ; on se fait héros à peu de frais, oui, mais héros de rien. Est-ce lui, le vrai visage de l’Occident ? Celui des majorités inutiles, comme dans la phrase : Quatre Français sur cinq… Chut. Tournant en rond dans le parc, pour la dernière fois de ma vie peut-être, sois-en conscient, j’ai eu une sorte d’illumination et puis, j’ai entendu cette vieille dame raconter ses vacances : « C’est une île, mais c’est l’Afrique quand même, ils aiment danser, ils dansent, ils dansent, comme je leur ai dit pour plaisanter c’est dans vos gênes, bouger, le rythme, danser, ah, qu’est-ce qu’on a pu danser ! » et, quelques pas plus loin, à peine, cette mère de famille crier à son enfant qui, triomphalement, s’était saisi d’une pierre et la brandissait avant de la projeter sans doute (l’enfance de l’humanité) : « Tu fais des bêtises ! », avant de l’attacher à l’aide d’une sorte de leash de surf à la poussette dans laquelle dormait un autre, l’enfant à la pierre, âgé de quatre ou cinq ans, pourtant, lui, ne semblait pas savoir parler qui ne faisait que pousser des petits cris aigus, perçants, en réponse au sermon que sa mère, dans une langue étrangère, lui fit ensuite. Mon illumination, après avoir entendu tout cela, après avoir vu courir tant de grotesques mâles aux torses nus ruisselant de fluide estival, je n’étais plus tout à fait certain que c’en fût une, ou une élucubration sans grand intérêt, voire une réponse de mon organisme aux multiples agressions dont il faisait l’objet — la chaleur, les mâles, les femelles, les cigales, le vent —, qui sécrétait des pensées pour contrer le monde, trouver quelque chose à répondre à l’univers : non, ce ne peut pas être que cela, l’existence, cela ne se peut pas. Et puis, en réponse à un membre de phrase et une parenthèse subséquente dans le courrier de G. où il me parle de mes ambitions pour la vie sociale, je me dis qu’il faut que j’aille vers qui fait attention à moi, si peu nombreux soient les gens qui font effectivement attention à moi, il faut que j’aille à leur rencontre, que je leur ouvre les bras (je dis cela sans une once d’ironie), car telle est l’unique voie du salut.