Depuis la cuisine, je vois les fenêtres de notre ancien appartement. Ce qui provoque un sentiment d’étrangeté, comme si le moi que je suis devenu regardait l’ancien moi que je fus. Si je voyais à présent le moi que je fus alors, je ne sais pas ce que j’en penserais, peut-être trouverais-je que c’est un sale type qui passe son temps à se plaindre, à souffrir en attendant d’être publié et, une fois publié, à vouloir quitter Paris, jamais content, l’archétype du parfait connard, quoi. Je regarde ces deux fenêtres et je me représente l’appartement tel qu’il était et tel qu’il n’est plus — après notre départ, en effet, il a été refait entièrement — et si mon regard traverse la cour intérieure, ce que je vois, c’est l’épaisseur du temps qui sépare qui je suis de qui je fus, et cet espace réduit d’une cour d’immeuble enferme en elle l’écart infini du temps qui s’écoule. Je me souviens de ce qu’il s’y est passé dans cet appartement, mais ce ne ne sont pas les événements que je contemple, plutôt l’atmosphère. Mon double et moi, nous errons dans la dualité de cet espace-temps, entre ici et juste en face, aujourd’hui et il y a toutes ces années. Je repense à la naissance de Daphné, les circonstances qui l’ont précédée : cette immense crise d’angoisse après la seconde échographie, les premiers mois si difficiles et puis, le miracle qu’elle est, le miracle qu’elle fait chaque jour qu’elle vit. Dans l’après-midi, après avoir passé la matinée à ranger ce qui se pouvait ranger, une partie de nos affaires étant restées à Marseille en attendant un autre camion, je m’endors en écoutant la radio. Le roulis de la circulation me bercerait-il aussi ? Mer mécanique. Ensuite, je me douche à l’eau froide en glapissant. Meilleur moyen de préserver les ressources naturelles. Et puis, je sors marcher dans le cimetière, comme j’ai tant aimé le faire naguère. Quelque chose d’érotique dans l’air — comme toujours. Je crois que je suis heureux d’être ici. Je crois que j’ai l’impression d’être à ma place et qu’il y avait longtemps que je n’avais pas eu ce cette impression. L’avais-je seulement déjà eue ? Peut-être pas, non.

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