À un moment, je me dis : « Je n’ai pas envie d’écrire », et cette phrase ne sonne pas juste parce qu’écrire, ce n’est plus une question d’envie, plus une question de contrainte, d’exigence, mais une question d’ordre, d’organisation, de clarté et, je ne sais pas pourquoi je souhaite employer ce mot, plus encore que de justesse, de justice, mais de justice envers qui, envers quoi ? envers le monde, envers moi. Par l’écriture, qui plus est, je parviens à faire quelque chose de la colère, de la rancœur, de l’insatisfaction, je ne me contente pas de dire que ce monde est pourri, ce qui en vérité ne veut rien dire du tout, et j’insiste sur cet aspect : même si c’était vrai, cela ne voudrait rien dire du tout, ne sert qu’à jouir de laisser libre cours à sa misanthropie, ce à quoi j’ai pu me complaire, moi aussi, je le sais, je ne le nie pas, au contraire, je le confesse et je m’en défais, je distille tout cela, par l’écriture, je métabolise. Le moi n’est plus le moi, le monde n’est plus le monde, tout change, se convertit en quelque chose d’inconnu, d’inédit, beautés possibles qui se dévoilent. Tellement de gens qui s’en foutent, ou se délectent de leur haine, de leur malheur, s’enferme dans leur microcosme clos. Aujourd’hui, je sais que, si tout n’est pas parfait, tout est parfait. Et ce paradoxe, intraduisible en un autre vocabulaire que lui-même, doit être appréhendé pour lui-même, dans toute son ampleur, dans toute son étrangeté. Je pourrais gloser et donner l’illusion d’expliquer, de faire comprendre, d’éclairer, mais non, je sais bien que c’est faux, il est clair, et mieux : la clarté, c’est lui — tout n’est pas parfait et tout est parfait. Pas d’harmonie, pas de plus grand bien, pas d’optimum, pas de meilleur possible, non, rien que ce paradoxe dans toute sa pureté, dans toute sa lumière. À un autre moment, j’ai eu envie de décrire ce que j’avais sous les yeux, tu sais, quand tu te promènes, tout ce que tu vois, les associations d’idées, flux de conscience, laisser la langue aller au rythme des pas, comme cette affiche vantant les mérites des probiotiques que j’ai prise pour une publicité annonçant le nouvel opus de Maïa Mazaurette, À chacun sa microbite, à cause du titre de sa dernière chronique parue dans le Monde, « Petits pénis de tous les pays, unissez-vous ! », alors qu’il fallait lire, bien entendu, « À chacun son microbiote », je me suis arrêté au titre de la chronique tant ce ton docto-parodique, donneur de leçons bienveillant et ouvert, m’accable de sa lourdeur, mais non, tout n’est pas parfait, mais non, mais tout est parfait. Je garde les yeux ouverts, je garde les pieds sur terre, et je laisse ma tête errer, loin, là-haut, loin dans les nuages, les ambitieux nuages.

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