Mal dormi cette nuit. Pour nombre de raisons sans nul intérêt. Comme chaque fois que je dors mal, que je peine à trouver le sommeil ou que je me réveille en pleine nuit, je me surprends à détester ma vie, à trouver qu’elle n’est qu’un échec ridicule, à supplier Dieu de mettre fin à mes souffrances, alors que je ne crois pas en Dieu, c’est-à-dire : je ne crois pas qu’un Dieu interventionniste susceptible d’influencer le destin des mortels que nous sommes soit le genre d’entités qui existent. De mettre fin à mes souffrances ou de me permettre enfin de réussir. Cette nuit, après lui avoir demandé pourquoi il me détestait à ce point (et par « à ce point », j’évoquais l’état sinistre de ma vie), après lui avoir demandé de prendre ma vie, j’ai prié Dieu de me faire réussir. J’étais là, couché dans ce lit qui n’est pas le mien et dans lequel je cherchais une position pour dormir que je ne trouvais pas, dans ce lit sur lequel je suis assis à présent pour écrire, assis ou allongé sur le ventre, et je me suis entendu clairement prier Dieu de faire en sorte que je réussisse, je lui ai dit que j’en avais assez de tout rater, de perdre sans arrêt, que je voulais gagner quelque chose, pour changer, il y a si longtemps que je n’ai rien gagné, ai-je dit mot à mot à ce Dieu que, donc, je ne crois pas susceptible d’entendre parce que je crois qu’il appartient à la catégorie des entités qu’on nomme « fictives ». Mais je lui parlais quand même et, lui parlant, je me demande à qui je parlais en réalité : à lui, non, parce qu’il n’existe pas, je me répète, et à moi, non plus, parce que tout ce que je pouvais bien me dire, je le savais déjà, je me répète. Formulais-je des sortes de vœux au sujet de mon existence ? Oui, mais du genre absurde parce que ce n’est pas en formulant des vœux que les vœux se réalisent, mais comment ? En agissant. Oui, mais comment ? En faisant quoi, concrètement ? Je sais que je souffre d’un immense complexe d’infériorité parce que je ne gagne pas d’argent, et que c’est un problème, quand les gens pensent que tu n’as pas un vrai métier, c’est comme s’ils te disaient que tu n’existais pas vraiment, que ton existence était tolérée, certes, on ne va tout de même pas t’éliminer, mais pas vraiment complète, on te tolère comme on tolère un handicapé ou un enfant pas tout à fait normal, un attardé, mais on ne te tolère pas comme on tolère une personne digne de ce nom, respectable. Ainsi, j’ai le sentiment que ma famille — ou, plus exactement, ce qu’il en reste, mais c’est encore trop, c’est horrible de dire cela, et peut-être est-ce parce que je le pense que Dieu me punit sans répit —, j’ai le sentiment que ma famille ne me considère pas comme une personne digne de ce nom. Et ce sentiment, il est lourd, à vivre, difficile, à supporter. Quand tout le monde me considère en pensant que je ne suis pas quelqu’un de sérieux, que je ne suis pas capable de subvenir aux besoins de ma famille, il est difficile de concevoir une haute opinion de moi-même. Au fond, je me déteste à cause de cette image que le monde renvoie de moi, l’image de quelqu’un d’indigne dont on tolère l’existence même si on en récuse fondamentalement la nature. Que nombre d’écrivains aient occupé cette position d’anormalité face à la société, et me disant cela, je pensais à des écrivains comme Kafka, comme Musil, comme Walser, que nombre d’écrivains aient occupé cette position d’anormalité dans leurs rapports à la société ne me rend pas plus heureux, ni plus malheureux, il me semble que c’est un fait, mais que ce fait n’intéresse personne. Je me sens seul. C’est effrayant, cette solitude.

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