20.8.22

Sur la plage, un homme d’un certain âge s’enduit la verge de crème solaire avec une telle insistance qu’il est difficile de ne pas supposer qu’il y prend un grand plaisir. À vrai dire, il ne se contente pas de l’enduire, il la secoue ostensiblement, tire dessus, longuement, comme sur une extrémité infiniment élastique. Et puis, une fois qu’il en a fini avec l’appendice, il passe à la raie des fesses, sur laquelle il s’attarde avec la même application, avec la même détermination, avec la même insistance. Est-ce que le soleil tape si fort là-entre ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais essayé. Peut-être que je devrais ? Mon Dieu, quelle drôle d’idée. Les gens sont fous. À quelques centimètres de lui, la femme, elle, ne semble pas décidée à enlever le bas. Elle a croisé ses jambes derrière ses bras dont les mains se nouent un peu sous les genoux. Et regarde au loin. Que fait-elle là ? Peut-être se pose-t-elle la même question ? J’ai beau prétendre le contraire, j’ignore la taille du plaisir que l’homme qui s’enduit la verge prend à s’enduire la verge. Pour le savoir, il faudrait que je m’approche, que j’estime, que je compare à quelque centimètre-étalon, mais je dois dire qu’un tel étalage de virilité ne m’encourage pas à faire le premier pas et, après tout, je ne fais que passer, longer la dune avant que le rivage ne la rejoigne. Et l’engloutisse. N’exagérons rien. Combien de mètres séparent les hommes tout nus (en effet, l’homme à la verge enduite n’est pas le seul dénudé, et je constate que, chez les êtres humains, seuls les mâles semblent se dénuder au soleil, ou alors est-ce une coutume locale ?), combien de mètres séparent les hommes nus des femmes voilées ? Cent, deux cents, trois cents ? Guère plus. Cette société me laisse perplexe. Si l’on m’interrogeait à son sujet, si l’on me demandait : « C’est quoi, la France ? », je serais bien en peine de répondre. Remercie donc le principe supérieur à l’œuvre dans l’univers qui fait que ton avis sur la question, sur n’importe quelle question, n’intéresse personne. Tout en marchant à reculons, essayant de faire des traces dans le sable qui seraient susceptibles de tromper Sherlock Holmes lui-même (il penserait que l’homme dont il observe les traces de pas dans le sable allait en avant), je repense à la page consacrée à l’homme trans que j’ai lue dans le journal, ce matin, et je trouve ce monde de plus en plus étrange : qui peut bien avoir envie de devenir ce genre qui s’enduit la verge au soleil, sans considération aucune pour les flâneurs ensablés qui n’ont pas spécialement envie d’assister à un tel spectacle ? En tout cas, moi j’y assiste contraint et forcé bien que, je ne dois rien cacher, un peu intrigué aussi. Quant à l’article de ce matin, ce n’est pas la leçon de masculinité de l’homme trans qui m’a intrigué, mais l’étage au-dessus, pour ainsi dire : du balcon de ma loge, je regarde la scène où se démènent tous ces personnages en quête de quelque chose qui n’existe pas — l’identité, x=x — avec amusement. C’est quoi, un homme ? C’est quoi, la France ? C’est quoi, ceci, c’est quoi, cela ? Toutes ces questions au fond sont les mêmes, parce que nous croyons qu’une chose est son identité avec elle-même, qu’il suffit de bricoler deux, trois appendices pour qu’un x devienne un y, qu’il suffit de s’astiquer la bite en public pour être un homme, qu’il suffit de se cacher derrière n mètres carré de tissus pour être une femme. Dans notre ontologie, nous nous comportons comme des primitifs, qui nous posons les mêmes questions depuis des millénaires et nous heurtons à la même insatisfaction, parce que les catégories que nous mobilisons sont mauvaises, parce que les questions sont mal posées. Que faire de toutes les réponses que nous accumulons chaque jour ? Que faire sinon nous en débarrasser ?