Aux alentours de la fin du mois d’août, dans les allées du Monoprix Montparnasse, l’animation ne devait pas être assurée par une promotion sur les moules ou les coquillettes, mais par la présence de Doc Gynéco. Vêtu d’un improbable ensemble bermuda-doudoune à capuche, et paré de son inimitable bonnet, il faisait plus penser à une épave à la dérive qu’à l’enfant terrible de la chanson française dont les rimes provocatrices enflammèrent jadis le cœur du public, des médias, et de Christine Angot. Ainsi va la gloire du monde, paraît-il, laquelle n’empêcha toutefois pas les plus vieux de s’interroger : « T’es sûr que c’est lui ? » et les plus jeunes de leur demander : « Mais, c’est qui ? » « Qu’est-ce que tu y connais, toi, à la célébrité, pour prétendre en parler ? » n’est pas la bonne question à me poser : il s’agit pour moi simplement d’être là et d’observer, — le monde est grand ouvert à qui sait lui accorder son attention. Et même les événements les plus insignifiants, comme l’est donc la présence d’une vieille gloire dans les allées du supermarché où je faisais des courses pour le déjeuner dominical (en réalité, un pique-nique d’intérieur plus ou moins improvisé), peuvent s’avérer porteurs d’une dimension métaphysique. Je m’interromps un instant, me demande laquelle, ne parviens pas à la trouver, décide de revenir sur mes pas, mais c’est déjà trop tard. Tout est passé, la gloire, et son incarnation. Comment mes visions s’élèveraient-elles au-dessus de mon époque ? Perdus dans le désert, les mystiques de la fin de l’Antiquité pouvaient bien se trouver aux prises avec le diable en personne, mais moi, dans ce monde hyper-industrialisé jusqu’à l’absurdité, que puis-je espérer qu’il m’apparaisse sinon des images plates, sans le moindre horizon, la moindre profondeur, pas même des banalités, non, guère que des débris qui flottent dans l’océan de l’oubli ? Qui pourrait croire, en effet, que le diable s’embarrasse de l’apparence caricaturale d’un vieux rappeur sur le retour ? Non, à supposer que le diable existe, ce qui soit dit en passant ne fait aucun doute, il y a fort longtemps qu’il a fichu le camp, et s’en est allé hanter d’autres mondes que l’Occident. Dans notre orgueil, nous Occidentaux, nous imaginons nous en être débarrassés, à force de science, à force de raison ; il n’en est rien. En nous abandonnant à notre sort, il y a un peu plus d’un siècle, on raconte qu’il aurait déclaré : « Je n’ai plus rien à leur apprendre. Ils sont grands maintenant, ils se débrouillent très bien sans moi. » La preuve aujourd’hui encore, si minime soit-elle.

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