7.9.22

Hier, j’ai écrit deux poèmes, qui se suivent, et n’en forment peut-être qu’un seul. J’étais heureux d’avoir écrit ces poèmes, non pas tant pour leurs qualités littéraires — qu’ils en aient ou qu’ils n’en aient pas, comment le saurait-on ? j’entends : à la lumière de quels critères esthétiques, les évaluerait-on ? ceux à l’aune desquels on évalue les productions qui sont mises en vente sur le marché actuel ? celui-là même qui ne veut pas de moi, donc, mais comment pourrais-je évaluer quelque chose à l’aune de quelque chose qui le rejette ? pour le marché, ces poèmes n’existent pas, et ce n’est pas pour lui que je les ai écrits, ni contre lui, je ne les ai écrits pour rien, dans l’innocence de l’acte —, mais parce que je les ai écrits n’importe où : au dos d’un ticket de caisse et d’un courrier de la mairie de Paris. Des carnets, j’en ai plusieurs, trop sans doute, et cela faisait plusieurs jours que la question se posait à moi de savoir où écrire, comme si le support l’emportait sur l’écriture (note que ce sont les mêmes balivernes dont on nous accable avec « l’écriture numérique », dont le seul but est de créer un nouveau marché où écouler d’autres productions standardisées). Et, évidemment, à chercher où, je ne trouvais pas quoi, je n’écrivais rien. Hier au soir, je ne sais plus si c’était avant ou après le dîner, Daphné étant occupée quelques instants ailleurs et Nelly ne se trouvant pas à Paris, j’ai attrapé un ticket de caisse qui traînait sur une étagère de la bibliothèque et j’ai écrit un premier poème. Ensuite, je crois que c’était avant le dîner, ensuite, j’ai pensé à ce poème et j’en ai écrit un second, je crois que c’était après le dîner, qui commençait par commenter le premier poème et puis racontait autre chose et parvenait à faire parler un sentiment qui, sans le poème, ne se serait pas exprimé et qui, pourtant, existait bel et bien, puisque le poème lui a donné la parole, mais serait resté lettre morte, triste et sans voix, d’autant plus triste que sans voix, sans le poème. Est-ce que c’est la fonction du poème, est-ce qu’un poème sert à cela ? Je n’en sais rien. Il y a tant de choses dont on dit qu’elles servent à quelque chose alors qu’en fait elles ne servent à rien et dont on ferait mieux de se débarrasser au lieu de quoi on encombre sa vie avec, qu’il vaut peut-être mieux se dire qu’un poème ne sert à rien et que, s’il sert à quelque chose, c’est par accident, et que c’est heureux ; l’acte est innocent et heureux, l’accident. Je pense que je vais les copier, mais je ne sais pas où. Recommencement. Encore une fois, la question accessoire l’emporte sur celle qui importe vraiment : qu’est-ce que je fais ? Non pas qui suis-je ? — peut-être qu’il y en a qui sont obsédés par la question mais moi, cela ne m’intéresse pas de savoir qui je suis — non pas qui suis-je ? mais qu’est-ce que je fais ? Comme quand on se demande : « Mais qu’est-ce que j’ai fait ? » après avoir quelque chose de grave. Mais si l’intention peut être coupable, l’acte est innocent. Qu’est-ce que j’ai fait ? Mais rien. Mais tout.