Peut-être que je désire quelque chose qui n’existe pas, mais que pourrais-je désirer si ce n’est quelque chose qui n’existe pas ? Impression d’avoir déjà écrit cette phrase, ou une semblable, ou est-ce que quelqu’un l’a déjà dite avant moi et que je ne fais que la répéter sans parvenir à pouvoir en identifier la source ? Ce qui n’existe pas, il faut que je l’invente. J’ai beau chercher, il me semble que je ne trouve pas, que je ne trouverai jamais. Hier, dans le métro, après avoir joué avec G. au studio, en lisant les pages que Walter Benjamin a consacrées à « l’image proustienne », je suis à la fois fasciné par la description qu’il fait de l’œuvre de Proust (chaque fois que je la lis, je trouve la citation de Barrès — « un poète persan dans une loge de concierge » — plus belle que la fois précédente) et désespéré à l’idée que jamais je ne parviendrai à faire quoi que ce soit d’aussi grand. J’en suis réduit à ce journal qui ne ressemble à rien, à quelques poèmes que personne ne lit, des morceaux de livres qui n’existeront jamais. Je cherche, mais je ne trouve pas. Dois-je arrêter de chercher ? Dois-je tout arrêter tout simplement ? Ne plus rien faire ? Certains jours, ce journal devient très angoissant tant il me semble que, si je ne l’écris pas, je ne suis même pas. C’est plus encore que l’idée d’une justification sociale qu’il donnerait à mon existence (ce que j’ai déjà mentionné, trop de fois peut-être, c’est-à-dire non que j’y revienne trop, mais je ne parviens pas à transformer cette situation déplaisante), c’est qu’en lui, tout mon être me paraît concentré : je suis là. D’où cette hypothétique conséquence : si c’est médiocre, c’est que moi-même, je suis médiocre (ou nul ou mauvais ou inutile). Je voudrais faire quelque chose, mais je ne fais rien comme si je me trouvais confronté à une résistance si forte que face à elle je ne puis que constater mon impuissance, ou mieux : que toute ma puissance est en réalité impuissante à vaincre cette résistance. Quel sens ont ces jérômiades auxquelles je me laisse aller à présent ? Je n’en ai pas la moindre idée. Peut-être n’en ont-elles aucun ? Mais alors ne serait-ce pas terriblement désespérant ? Qu’est-ce qui ne serait pas désespérant dès lors ? Échapper à la mort ? L’on se rend bien compte, touchant du doigt cette extrémité qu’il n’existe pas de moyen de vaincre la résistance ; — c’est toujours elle qui finit par vaincre. Faut-il donc mener le combat malgré tout ? Mais quel combat ? C’est la vie même qui est ainsi ; ce que l’on appelle « résistance » n’est pas une résistance, c’est la vie dans sa réalité la plus ordinaire. Nous ne pouvons pas voir tous les côtés du mystère à la fois — pour ce faire, il nous faudrait vivre tous les temps à la fois, ce qui est impossible —, aussi sommes-nous condamnés à vivre dans une illusion, une erreur constante, peut-être notre impuissance face à la résistance du monde vient-elle de là ? Il faudrait sortir du monde pour le savoir. Or nous ne faisons que plonger, plonger et replonger en lui.

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