20.9.22

Au croisement d’un faisceau de causes, comme pris au milieu des tirs croisés de ma  mauvaise conscience, j’ai mal dormi cette nuit. Causes parmi lesquelles je compterai dans le désordre : l’histoire avec mon père, et plus largement le premier cercle de famille — d’aucuns diraient « de l’Enfer » — la découverte que ma carte bleue a été piratée, l’idée qui est revenue m’obséder que j’ai raté ma vie, la considération que, de toute façon, il est trop tard pour moi, que je suis trop faible, trop fatigué, trop paresseux pour faire quoi que ce soit, la pensée du suicide et l’impossibilité de l’acte du suicide, enfin, parce que j’aime trop Nelly et j’aime trop Daphné. Ne parvenant pas à justifier mon existence professionnellement, je me mets à la recherche des moyens de la justifier autrement, mais ce n’est pas le bon moment, bien sûr que non, ce n’est pas le bon moment pour les chercher. C’est le moment de dormir, mais toute pensée, tout sentiment, toute émotion semblent destinés à m’en empêcher. Au matin, m’extirpant d’un sommeil devenu profond trop tard, alors qu’il aura été superficiel toute la nuit durant, j’apprends que Nelly a aussi mal dormi que moi, pour des raisons qui sont les siennes, et alors je me dis que, peut-être, les dérèglements de nos cycles circadiens se sont synchronisés qui nous auront mutuellement empêchés de bien dormir. Qui sait comment les êtres se relient les uns aux autres ? Qui sait comment ils communiquent ? La proximité physique, la proximité sentimentale, la proximité éthique, tout cela peut-il réellement être sans effet sur les organismes que nous sommes ? Je trouve une joie simple à m’occuper de Daphné, je veux dire : une joie vraie, pas une joie imbécile, une joie authentique, même si je perds un peu trop vite patience quand nous faisons les devoirs, après le goûter. Ne pourrais-je pas me consacrer entièrement à elle ? Et m’oublier, moi, qui ne suis pas bon à grand-chose ? En toute objectivité, qu’ai-je de mieux à apporter au monde ? Quoi d’autre qu’il n’ait pas déjà refusé ? Plus tard, après que Nelly et Daphné sont parties pour l’école, je m’assois à la table d’écriture, qui est aussi la table sur laquelle nous prenons nos repas, l’autre devant être colonisée par les cartons pendant deux semaines encore, et, dans mon carnet au bison rouge, j’écris dix-sept nouvelles lignes pour mon poème, que je copie ensuite dans l’ordinateur, poème qui pourrait s’appeler, c’est en tout cas le nom que j’ai donné au fichier texte, « l’émoi intact des choses ».