25.9.22

Que ce que je fais n’intéresse personne ne m’encourage pas à continuer, non, mais est-ce que ça me décourage ? Je ne sais pas. J’y pense un instant en voyant cette  annonce d’une rencontre où deux types sont invités à parler de leur pratique du journal. J’y pense un instant, et puis je pense à autre chose, mais à quoi ? Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr de savoir. À rien, sans doute. En attendant M., j’écoute For Philip Guston de Morton Feldman. Sur Spotify, la première partie de la pièce compte un peu plus de 5000 écoutes, la deuxième 2500, et puis on descend comme ça petit à petit jusqu’à 1000 environ, et puis à plus aucune écoute du tout (on passe de 1000 environ à rien du tout). C’est comme ça. Il n’y a même pas écrit « 0 » à côté de « For Philip Guston (1984): Part 9 », il n’y a plus de chiffres du tout. Cette absence de chiffres d’écoute, je la trouve belle, parce que, grâce à elle, on oublie totalement que, pour certaines personnes, les chiffres, c’est tout ce qui compte, on oublie complètement que des cerveaux détraqués ont mis au point des algorithmes pour compter le nombre des écoutes. Évidemment, c’est là-dessus que se fonde toute notre pensée de l’intelligence, une machine qui compte ce qui intéresse les êtres humains et fabrique à partir de ce décompte des choses qui intéressent les êtres humains. Est-ce que j’aimerais être invité à parler avec d’autres personnes de ma pratique du journal ? Je ne sais pas. Peut-être que ça dépendrait des personnes qui lanceraient l’invitation, de celles avec qui je serais invité à parler, de tout un ensemble de choses. Mais en fait, la question ne se pose pas. Personne ne m’invite à parler de quoi que ce soit. Alors quoi ? Alors, je parle tout seul. Est-ce que c’est bien comme ça ? Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr de savoir. Dans les nombreuses pages de lui que j’ai traduites, et qui n’ont intéressé à peu près personne, Morton Feldman dit que si plus de cent personnes s’intéressent à ta musique, tu es commercial. Mais « commercial » en quel sens ? Je crois au sens de « vendu ». Ça fait beaucoup de vendus, non ? Oui, mais ce n’est pas la question. Mais quelle est la question ? Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr de savoir. Si je devais parler de ce journal à des gens qui s’intéresseraient à ma pratique de lui, je dirais qu’une des choses que j’aime dans ce journal, une des choses qui font que, même si presque personne ne le lit, je continue de l’écrire et de le mettre en ligne chaque jour, une des choses que j’aime dans ce journal, c’est que j’y écris comme si je pensais tout haut, ce qui n’exclut pas la réflexion, la correction, mais toujours à l’origine ou à un moment de l’écriture, il y a cette sensation de me parler à voix haute, de parler à tout le monde à voix haute, de penser en écrivant, d’écrire en pensant, dans ce dispositif minimal, réduit au plus simple appareil de presque rien, je pense, j’écris comme je respire, et c’est très bien comme cela.