« Pas la moindre idée » est une expression que j’emploie souvent. Hors cette mention (que je n’avais pas l’intention de mettre dans cet état, mais de l’écrire sans guillemets, ce qui aurait fait six), dans le fichier du journal où j’écris, je l’ai employée cinq fois depuis le 18 juin. Pourquoi autant ? Je n’en ai pas la moindre idée. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, je n’ai pas la moindre idée. Est-ce à dire pour autant que j’ai la tête vide ? Je ne crois pas, non. Nous nous sommes promenés dans les rues de Paris avec Nelly comme nous avions l’habitude de le faire, avant. Depuis combien de temps ne l’avions-nous plus fait ? Par moments, trop de monde dans les rues, des touristes venus pour voir Paris ou les défilés de mode. Passablement ridicules. Mais le flâneur accueille tout, observe tout, qu’il le juge digne ou non de son souvenir. Passage Choiseul, Galerie Vivienne, la Bibliothèque nationale — comment ne pas penser à Walter Benjamin ? À qui je ne suis pas fidèle. Mais à quelle lecture suis-je fidèle en ce moment ? Comme je n’en ai pas la moindre idée, et que les deux phénomènes n’ont aucun rapport entre eux, je copie ici les premières lignes (3×17) d’un poème que j’ai eu l’idée d’écrire.
où garder le silence
l’émoi intact des choses ?
à considérer l’élan —
l’éclat —
l’ombre qui s’inscrit sur le mur pousse à la disparition
plante vivace dont on ne sait comment
elle parvient toujours à s’opposer à la mort
rien ne se remplace pourtant
le moi l’infini
où sont passés les êtres que nous chérissions ?
goût d’amertume
je pleure des larmes synthétiques
sur la vitre de mon écran
et me demande comment noir
mon visage s’y reflète
vide total
mais véridique
du bruit que fait l’univers
pour persévérer
que déduire ?
j’observe la perversion du même
partout où se voit quelque chose
ne peine-t-on pas toujours plus
à dire quoi ?
de toutes les questions formulées
et de leurs échos inaudibles
il y a des traces sur les murs
que chaque jour les services de la voirie du monde s’efforcent d’effacer
mais pour nous qui
n’avons rien à dissimuler
car pour nous rien n’est caché
c’est une insulte
que nous ne saurions tolérer
— illusion du gommage
une ligne faite en écrivant
trace de la réalité
ou de l’idée que l’on s’en fait
insomnies en forme de points d’interrogation
tout ce qui se passe passe par les pores de la nuit
quand n’y aura-t-il plus de différence
entre la chose et l’idée de chose
quand il n’y aura enfin plus de choses
mais l’existence la hauteur des couleurs ?
sans le son je tends l’oreille
sorte de main qui cherche
dans le noir un sens
qui nous aurait échappé jusque lors
météorites
quand le malin génie climatique
éteindra la civilisation
la tiendras-tu dans la mienne — ta main ?
du bruit que fait le monde
pour persister
ne rien conclure surtout
je me suis tourné
et à présent que je lui fais face
considérant ces corps si anonymes
qu’ils semblent n’en former qu’un
— immense —
je me demande si j’ai eu raison
mais qui a encore assez de force
assez de force et de courage
pour tourner les yeux vers soi
et se voir sans ciller ?
adeptes hypocrites de nos cultes vides
tout nous sera enlevé
pas une vérité à dire que nous ne sachions déjà
et pourtant nous ne comprenons rien