Rideaux tirés sur le boulevard, j’ai posé l’ordinateur sur mes genoux, j’écris. Je suis allongé dans le lit, indifférent à ce qu’il se passe dehors. Je dors mal en ce moment, mais ce n’est pas à cause du bruit — les bouchons d’oreille l’étouffent, j’en ai apporté la preuve irréfutable hier, cependant que je ne dormais pas et que je pensais à John Cage — alors ce doit être la folie ou quelque pas égaré dans la nuit. Au matin, puisque je dors, je voudrais ne pas me lever. Le fais quand même par devoir, par habitude, par mimétisme. « Mimétisme », ce mot ne revient-il pas trop souvent ces derniers temps ? Peut-être. J’essaierais bien de me plaindre, mais tout ce qu’il m’arrive, je l’ai voulu. Cette phrase est imbécile, mais je la laisse écrite quand même pour ne pas effacer mes traces sur le chemin par lequel je suis passé pour en arriver là. À part les raies qui parviennent du dehors par les interstices clairs que les rideaux laissent libres, la seule source de lumière provient de l’écran de mon ordinateur, qui éclaire donc mon visage. Ce n’est pas de mon visage que je me soucie. Je me soucie de mes doigts, de leur œuvre. Je n’ai pas effacé l’espèce de texte bizarre que j’ai commencé hier. Au contraire, je l’ai augmenté d’un peu. Que je l’abandonne tout prochainement, c’est ce dont je ne doute pas, mais je ne veux pas y penser. Je veux qu’il vive. Ou plutôt, non : je veux que je vive. Cette phrase n’est-elle pas étrange ? Oui, étrange, mais pas imbécile. Je la laisse aussi telle une trace supplémentaire de mon passage par ici. Où vais-je ? Question absurde. Il n’y a plus nulle part où aller, tout ayant été cartographié, ne restent pour nous que des espaces banals. Et dire qu’il faut trouver quelque beauté dans cette banalité. Effort héroïque, quasi surhumain, il faudrait la patience et la puissance d’une divinité pour y parvenir. Quand une parcelle infime semble se profiler, ne pouvons-nous pas nous estimer heureux ? Il le faudrait en tout cas. Je ne dors pas, mais je ne suis pas abattu, non. Dans ma retraite sombre, je trouve le peu de calme dont j’ai besoin. C’est vrai que j’aimerais dormir plus, mieux, en tout cas, mais je crois que je tiens debout et parviens à garder les idées suffisamment claires pour continuer d’écrire. Que peut-il bien m’arriver, de toute façon ? Ou bien je m’effondrerai ou bien je trouverai un nouvel équilibre. Nulle raison d’avoir peur de l’avenir.