J’admire ces écrivains si âpres à la gloire qu’ils rédigent eux-mêmes leur fiche wikipédia. On en apprend certes un peu trop sur leur médiocre existence pour que, malgré le faux anonymat objectiviste, l’autorité de la chose fasse débat, et cela met en doute l’authenticité et la pertinence de la soi-disant encyclopédie, mais il y a quelque chose d’éloquent dans ce geste qui en dit plus que ce qu’il raconte sur ce dont il parle. En peu de mots : qu’on n’écrit pas pour écrire, mais pour être connu. Ce qui est tout autre. Cette obsession de la vie sociale, à la vérité, qui l’ignore ? Nous sommes tellement formatés par l’époque que nul ne saurait poursuivre un but qui serait en tout point étranger à la célébrité. Il n’y a pas jusqu’aux rédacteurs des journaux de gauche qui ne défendent le salaire colossal et obscène du grand footballeur parisien, même si le fait qu’ils soient détenus pas des milliardaires en dit long sur la nature du « gauchisme » qui est celui de notre temps. En fait, tout a été absorbé par l’argent, qui est le vrai nom de la gloire. Ce qui ne se monnaie pas n’existe pas et nous sommes tous des ridicules gesticulant dans l’espoir de décrocher le gros lot. L’ombre du grand écrivain plane sur chacune de nos pensées comme celle du grand attaquant sur le moindre dribble de tous les terrains du monde. Nous sommes enfermés dans notre époque, cloitrés jusqu’à l’étouffement dans notre ethos. Notre époque nous imprègne en de telles profondeurs que, même lorsque nous sentons en nous la démangeaison du ridicule, la chaleur de la honte, la morsure de la mauvaise conscience, nous sommes impuissants à réagir. Nous nous abandonnons à l’époque parce que nous savons bien, au fond, que le monde est plus fort que nous. Quand, un jour que je m’étais googelé sur internet, je découvris que quelqu’un avait rédigé ma fiche wikipédia, j’en conçus une certaine fierté. Quelque chose se passait enfin dans ma carrière, pensai-je, je devais commencer à compter, un peu, ne serait-ce qu’un tout petit peu. À présent que je sais, pour l’avoir consultée aujourd’hui à titre documentaire en vue de cette rédaction, qu’elle n’est pas mise à jour, je me sens un peu moins fier de moi, mais toujours plus que de ces êtres si vains, si fats, si contents d’eux-mêmes, qu’ils se rédigent dans l’espoir d’exister. Loin d’augmenter leur gloire, je crois que cela la réduit. On se diminue toujours à se vouloir faire plus gros que l’on est. Journée dans la voiture en direction de la Bretagne. Bilan carbone : frissons en écoutant à la radio un des poèmes du Pierrot lunaire. Les chefs-d’œuvre transcendent les conditions de leur expérience ; ils sont la chair intacte de l’expérience.