Où faut-il aller pour ne croiser personne ? Peut-être nulle part. À qui cherche la solitude, le monde répond par la foule — la foule ou la laideur. Ou bien rester chez soi, tirer les rideaux, oublier que le monde extérieur existe, tout faire disparaître. À la forme de bêtise absolue qui semble avoir contaminé l’humanité (conversations insignifiantes au téléphone sur haut-parleur, vêtements aux couleurs criardes, tatouages, vocabulaire ordurier, comportements hystériques, chiens partout, etc.), il n’y a rien à opposer : elle est inéducable parce que les gens sont inéduqués. Aussi n’est-il même pas vraiment étonnant d’entendre ce monsieur déjà âgé souhaiter « Bonne fête » à la caissière du supermarché. On croit deviner au ton de sa voix qu’il n’est pas tout à fait sûr de lui, mais ce n’est qu’une question de temps : bientôt la fièvre acheteuse aura gagné le monde entier et il n’y aura plus qu’à contempler les ruines d’une ancienne culture. Vestiges. Plus personne ne comprend plus rien et l’on comprendrait encore moins si l’on doutait qu’il s’agit d’une stratégie politique organisée (cf. OCM). Alors que j’écris ces mots, des adolescents à peine pubères viennent sonner à la porte dans l’espoir de recevoir des bonbons. Assis en tailleur dans le fauteuil où j’écris, mon ordinateur posé sur les genoux, imperturbable face au destin, je ne bronche pas. Pourtant, des bonbons, nous en avons acheté à Daphné, ainsi qu’un costume de sorcière et une baguette magique. Parents que la mauvaise conscience pousse à faire plaisir à leur enfant. Et si je nage seul au large, bien loin du rivage, dans l’océan de la contradiction, et que la mer est gelée, à l’enfant qui me dit qu’elle agit de son plein gré, je réponds que c’est faux, que ce n’est pas parce qu’on ne lui donne pas des coups de bâton pour qu’elle obéisse qu’elle n’est pas contrainte, comme les femmes qui portent le voile et croient être libres, ajouté-je. Histoire de ne pas me noyer. Suis-je un moraliste ? Assurément. Comment ne le serais-je pas ? Quand tous sont occupés à célébrer le temps présent, rite qui dégage des remugles de civilisation décadente, je me tiens impassible : fussé-je le dernier, je ne céderai pas un pouce de terrain.