Les gens sont bizarres, mais je ne dis rien. D’ailleurs, je devrais peut-être ne rien dire du tout. Ou me contenter de déclarer : « J’existe ». Sauf que cela n’a rien d’exceptionnel. N’est-ce pas l’erreur de Descartes, d’avoir vu dans le ego sum, ego existo, quelque chose d’exceptionnel, alors que ce ne l’est en rien ? En affirmant « J’existe », on devrait simplement se reconnaître comme tout ce qui se trouve sur terre, ni plus ni moins, dans une sorte d’immanence parfaite, sur un pied d’égalité avec tout ce qui se trouve sur terre. À la fois terrifiant et sublime, c’est possible, oui. Que tout se trouve sur le même plan d’existence, cela signifie-t-il que tout se vaut ? Oui. Et non. Tout dépend de la façon dont on aborde les choses. Et les deux points de vue — celui qui dit que puisque tout se trouve sur le même plan d’existence tout se vaut, et celui qui dit que ce n’est pas parce que tout se trouve sur le même plan d’existence que tout se vaut —, ces deux points de vue ne s’excluent pas l’un l’autre, mais sont complémentaires. On voudrait choisir, mais on ne le peut pas et sans doute ne le faut-il pas. Ici, moins par indétermination que par nécessité de multiplier les déterminations, de varier les points de vue, les manières d’envisager les choses, les êtres, les personnes, soi. Tout, quoi. Pourquoi ai-je commencé en disant que les gens sont bizarres. Je ne sais pas, je marchais dans la rue, et cela m’a sauté aux yeux, et peut-être suis-je bizarre, moi aussi, aux yeux des gens, ou aux yeux de personne, est-ce que les gens regardent les gens ? probablement pas, mais comment savoir ? en se mettant à la place des gens ? Nous sommes tous identiques, sur le même plan d’existence, et pourtant, nous avons si peu en commun, nous sommes tellement loin, tellement loin les uns des autres. Et il n’est même pas certain qu’il faille combler le vide de cette distance. Après tout, le vide aussi existe.