27.11.22

Après que nous avons fait l’amour, le matin, je traîne un peu au lit. Où je lis les pages d’un carnet qui me fascinent. Où je découvre qu’aujourd’hui est le premier dimanche de l’avent. À l’occasion de quoi, le dimanche et la découverte, je cherche quelle cantate Bach a composée pour ce jour. Trouve qu’il y en a trois. Écoute la troisième (BWV 62), « Nun komm, der Heiden Heiland », dont la traduction « Viens maintenant, le sauveur des païens » ne rend pas justice à la musicalité de l’original allemand. À ce moment, je me suis déjà levé depuis longtemps, j’écris ces phrases sans trop savoir où elles vont. Et pense que je n’aurais pas dû. Plutôt resté au lit et là, écouter Bach, loin de l’inaudible clameur du monde. Oui, « inaudible » a le sens d’un jugement moral dont, me demandant si je puis ne pas, je dois bien reconnaître que non, je ne puis m’empêcher de le formuler. Le devrais-je ? D’aucuns diraient que oui, mais moi je préfère dire que non. Parce que je me trouve moi-même jugé en permanence ? Non. Que je le sois, que je sois victime du rejet de mes contemporains, au fond, qu’importe ? Leur rejet ne m’empêche pas de vivre ma vie comme je l’entends, de continuer d’essayer de le faire. Non, parce que le jugement moral que je formule exprime ma nature profonde. Étrange expression, il me semble, que cette « nature profonde » à laquelle je suis peu enclin en temps normal mais, influence de Bach ou du temps gris, je ne sais, c’est celle que je choisis d’employer pour dire ce que j’ai à dire. Réaction à mon époque qui, tout en fantasmant une nature mère originelle, nourricière, protectrice et bienveillante qui n’a jamais existé pour nous autres homos à la nudité fragile qui sommes nés avec la civilisation, nie avec véhémence l’existence d’une nature du soi, peut-être pas absolument, bien qu’en un sens assez précis. Quel sens précis ? Je ne sais pas, je voudrais me contenter du mot affirmation, c’est moi qui souligne, sans savoir s’il sera compris. J’y entends la même affirmation que dans l’impératif de la cantate BWV 36 que j’écoute à présent, « Schwindt freudig euch empor », élevez-vous avec allégresse, chante le chœur, et n’est-elle pas la plus sublime cette communion dans le chant ? Nous qui avons été élevés à l’ironie nietzschéenne (« Comme le bonheur tient à peu de choses ! Le son d’une cornemuse… Sans la musique, la vie serait une erreur. L’Allemand se représente Dieu en personne chantant des cantiques. » Crépuscule des idoles, « Maximes et Traits », 33), comment serions-nous capables d’une telle légèreté ensemble, nous qu’effraie la clameur de la foule les soirs de matchs de foot ? J’ai froid, je renifle, j’ai la tête lourde, les muscles gourds, mais je n’ai pas envie d’arrêter d’écrire, j’ai l’impression que si j’arrête d’écrire, quelque chose va s’effondrer. Serait-ce que j’aie peur de la réalité, des choses telles qu’elles sont quand elles sont sans musique, quand elles sont sans écriture, quand elles sont sans vie ? Et si la vie était réellement une erreur ?