29.11.22

Cette nuit, j’ai rêvé que je couchais avec Jeanne Balibar et Mathieu Amalric jeunes. Il n’y avait rien de sexuel. Nous étions simplement dans le même grand lit aux draps immaculés. Sans savoir ce que je faisais là ni même trouver anormal d’y être, je me levai pour allumer une longue cigarette aussi blanche que les draps où les amants étaient restés couchés. Tout baignait dans une atmosphère de grande intellectualité, on sentait qu’on lisait beaucoup de livres, sans forcément très bien les comprendre, l’essentiel n’étant peut-être pas là, mais où ? Je ne sais pas, je me suis éveillé. Si je comprends pourquoi Jeanne Balibar a pu pénétrer jusque dans l’intimité de mes rêves — j’avais lu, en effet, dans la journée précédant le rêve un article consacré à la vie de Barbara et m’étais dit : « C’est fou ce que Jeanne Balibar lui ressemble, quand même », remarque profonde s’il en est —, la présence de Mathieu Amalric, elle, ne s’explique que par une association d’idées qui n’honore par forcément les méandres labyrinthiques de mon inconscient, mais tendrait plutôt à en souligner la trop grande linéarité. À ceci près que cette linéarité n’explique pas ma présence au lit avec le couple qui incarna jadis ce que le cinéma français avait de plus glamour. Moi, je n’ai pas grand-chose de glamour, surtout pas en ce moment avec mon nez rouge rhinopharyngite. Mais peut-être dois-je la remercier, la rhinopharyngite qui me fait me souvenir de mes rêves. Depuis quand cela ne m’était-il plus arrivé ? Je ne m’en souviens pas. Ce matin, laissant de côté le rêve de la nuit pour y revenir plus tard, c’est-à-dire maintenant, j’ai écrit la critique de ce livre que je devais écrire depuis plusieurs jours mais que, fatigue, paresse ou délai imposé du dehors, je n’avais pas écrite. Je me suis assis, ai pris le livre et les phrases sont venues spontanément, comme si elles étaient déjà prêtes dans un coin reculé de ma tête. Elles ne l’étaient pas, mais c’est l’impression qu’elles m’ont faite. Peut-être est-ce là un défaut de ces phrases, peut-être devrais-je déplorer leur jaillissement spontané qui n’est pas le signe de leur nouveauté. Sauf que ce j’ai écrit, je n’étais pas encore parvenu à l’écrire ainsi, avec ce calme, cette simplicité, cette douceur, allais-je dire, et peut-être est-ce le prétexte du livre qui rend possible ce ton-là. Dans mon rêve, je m’en souviens à présent, la cigarette me paraissait anormalement longue. Comment se fait-il, alors que tout l’était, que ce soit le seul élément du rêve qui m’ait paru anormal ? Et pas, par exemple, la vue en plongée de la scène du rêve ni le changement de cadre soudain au moment où j’allumai la cigarette, la vue zoomant sur mes mains en train de le faire. Et aussi : pourquoi ne rêvé-je pas en caméra subjective ? Tout semble normal, mais rien ne l’est, et on finit par en prendre conscience ; est-ce la définition de l’illumination ? Certaines journées, on voudrait qu’elles soient achevées avant d’avoir commencé. D’autres, qu’elles s’étirent interminablement pour nous laisser un peu plus de temps, encore un peu plus de temps.