10.12.22

Gueule de bois. Pendant que l’ouvrier (il est seul aujourd’hui) termine le travail de peinture entamé hier, affalé sur le chersterfield rouge dans la chambre de Daphné, la bouche ouverte mais pas trop grand, j’essaie de ne pas m’assoupir. Quand Nelly revient, je pose ma tête sur son épaule et m’endors. Je m’entends ronfler. C’est amusant, j’ai l’impression d’être à la fois dans mon corps et en dehors. Enfin, amusant, je ne sais pas trop, peut-être que c’est la gueule de bois qui me fait trouver cela drôle, enfin, drôle, non, amusant, j’ai trop mal à la tête pour rire. Je dois rester immobile tel un sphinx pour ne pas souffrir, mais c’est impossible, je ne suis pas en pierre, et encore moins de marbre, comment le resterais-je ? En partant, le deuxième ouvrier qui est venu inspecter le travail du premier (c’est le chef) souhaite un « Bon match ! » à Nelly. Hier, dans les mêmes circonstances, il m’avait souhaité bon courage. Mais aujourd’hui, je reste caché dans mon canapé. Inconfortable, certes, il est trop petit pour s’y allonger (c’est un canapé deux places seulement parce que, dans l’appartement où nous habitions lorsque nous l’avons acheté, de l’autre côté de la cour, donc, il n’y avait pas assez de place pour un canapé trois places, le mur du salon qui devait l’accueillir étant juste à sa taille, désormais, si j’en crois mes observations par la fenêtre de la cuisine, le salon n’est plus mais une chambre à coucher, le trois pièces ayant été transformé en deux pièces avec, c’est le gestionnaire des appartements loués qui l’a dit à Nelly, à la place de la cuisine, une salle de bains et, à la place des deux chambres, une cuisine ouverte et un salon, le vieil appart’ n’est plus, la forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un locataire) et donc la nuque y est maltraitée, douloureuse, à angle droit du corps, la tête semble être un organe indépendant du reste, mais ce n’est pas vrai, évidemment, les apparences peuvent être trompeuses, même si elles ne le sont pas tout le temps, parfois on se dit : « Qu’est-ce qu’il a l’air con, celui-là ! » et, en fait, il est vraiment con, à vrai dire, on est rarement déçu par les apparences des gens, c’est dommage, mais c’est ainsi. Quand les ouvriers sont partis, je me suis déplacé du canapé de la chambre de Daphné vers le canapé du salon. J’ai doublé la paire de chaussettes qui me servent de pantoufles d’une deuxième paire de chaussettes parce que la première est usée au niveau de la plante des pieds, j’ai tiré la capuche de mon « hoodie » comme on dit sur ma tête de Robin et j’ai posé un plaid sur mes jambes en tailleur et l’ordinateur dessus où j’écris. Le problème parfois avec ce journal, c’est qu’il réduit le nombre des sujets de conversation possibles quand les gens avec qui je parle lisent aussi mon journal il arrive qu’ils me disent : « Ah oui, je sais, je l’ai lu dans ton journal. » Heureusement que je ne parle pas à beaucoup de monde, si je leur parlais, à cause de mon journal, je n’aurais plus rien à leur dire. Non vraiment, pour écrire, mieux vaut ne parler à personne ou alors parler tout seul, se parler à soi-même, oui.