Pas de jours enfant malade pour le pauvre écrivain que je suis, et qui dois chercher dans les interstices de la réalité d’étiques espaces où exister. « Étique » et « éthique », est-il étonnant que ces mots soient homonymes ? Non sans doute pas, mais c’est le hasard, heureux et malheureux, en l’occurence, ne va pas croire que la langue morte que je parle révèle quelque réalité que ce soit. Déjà, cette langue, si quelqu’un a encore envie de la parler, n’est-ce pas merveilleux, n’est-ce pas irréel ou quasi ? (Ma passion nécrophile : la langue française.) Je pourrais me féliciter : je prends soin d’un être autre que moi, plus faible que moi, qui a besoin de moi, mais je ne le fais pas. Je ne crois pas que Daphné soit plus faible que moi, elle me semble au contraire bien plus forte que moi. Ou, disons les choses autrement pour faire entendre la même idée, si je prends tel soin d’elle, c’est que je veux qu’elle devienne plus forte que moi, et non qu’elle se rende compte, à quarante ans passés, qu’elle a raté sa vie, ou toute une partie de celle-ci. Ce n’est pas littéralement que je considère avoir raté ma vie : d’après mes propres critères, j’ai réussi ma vie (je voulais écrire des livres, tenez, les voici), mais ce ne sont pas les critères en vigueur dans la société dans laquelle je vis (l’argent, la célébrité, etc.) et qui furent sans doute les critères en vigueur dans toutes les sociétés modernes. Simplement, j’ai encore trop d’une colère en moi dont je sens bien qu’elle m’étouffe, m’empêche de parler l’idiome que je pourrais parler sans elle, défunt peut-être (je ne suis pas responsable du temps où je suis né), mais plus libre, plus léger. J’ai encore trop le désir d’un triomphe désuet, encore trop d’amour pour une vérité fanée. Il faut être plus léger, mon cher, plus libre, plus profond que cela. Comment ? Comme ceci, peut-être : j’aime le temps qu’il fait en ce moment. Je consulte la météo qui avertit : vigilance jaune, grand froid. Mais moi, ce temps, je le trouve juste, je le trouve parfait. Le ciel est clair, l’air est sec. Il y a peut-être trop d’humains sur terre, mais j’ai l’impression de pouvoir respirer. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être pour la raison que voici : je n’ai pas de rang, je n’ai pas de sang, je n’ai pas de genre, je n’ai pas de race ; j’écris.