15.12.22

Un rayon de soleil m’oblige à plisser les yeux, et puis à les fermer. Je n’écris plus. Me tiens dans sa portée le temps qu’il dure. Ensuite, de la main droite, je crée ma petite éclipse personnelle. Là, quelques instants avant qu’il ne disparaisse, je me réchauffe dans la lumière froide de l’hiver. Ce ne sont pas les choses qu’il faut apprendre à aimer, mais ce qui arrive, si éphémère que ce soit. À l’exposition du Louvre qui porte le nom du livre de Perec, exposition que je trouve passablement décevante et affreusement moralisatrice (devant le chat mort de Géricault, c’est la première fois que je me sens sommé par un cartel de ressentir quelque chose « à mesure de mon amour pour les bêtes », me dit-on, comme si l’expérience esthétique, préalablement avant de se faire, devait être enregistrée dans les statuts de la fondation Brigitte Bardot — mais tout sera comme cela, désormais, n’en doute pas un instant, « liberté, liberté chérie » ne sont déjà plus que les paroles d’une vieille chanson dont on a oublié les couplets), quelques tableaux attirent mon attention : trois natures mortes de Chardin (« La tabagie », « Lièvre mort avec poire à poudre et gibecière » et « Un lapin, deux grives mortes et quelques brins de paille sur une table de pierre ») ainsi qu’une de Morandi (simplement intitulée « Natura morta ») parce que j’y vois, sous deux modalités singulières, la même lumière blanche. C’est bien peu pour l’industrie de la culture, mais assez pour moi. Aussi, dans le carnet au bison noir, je note : « La qualité spécifique de la lumière des tableaux de Chardin qui semblent rayonner, irradier — le blanc de la cruche, du pelage. // Serait-il inexact de dire que c’est la même lumière, le même blanc — le blanc des choses — qu’on voit chez Morandi ? À cette immense nuance près que, chez Morandi, la lumière blanche n’irradie plus, elle a envahi tout l’espace du tableau qu’elle illumine jusqu’à la frontière de l’invisible. » Et puis, je ferme le carnet, me lève, et le range dans la poche de ma veste où il se tient prêt à servir à nouveau.