20.12.22

Il a plu, l’air est doux, et la terre humide dans le jardin. Je n’ai envie de rien, de rien de plus, me suffit tout ce que j’ai déjà, je suis déjà, il faut que je consolide cet équilibre, que je cesse d’agir, que je le laisse agir sur moi, que les intentions aient le temps de prendre forme, de prendre corps. Du fait du temps qu’il fait, et probablement aussi de la période de l’année, le jardin semble désert que je traverse avec une sorte de calme olympien que je ne me connaissais plus depuis longtemps. Cependant que je remonte les allées des deux jardins successifs qui conduisent au boulevard, je me moque un peu, dans le premier, de ces faiseurs d’exercice physique. Hier déjà, j’avais observé le voisin qui occupe l’appartement de l’autre côté de la cour intérieure où nous vivions avant faire des exercices en short et torse nu. J’étais allé dans la chambre de Daphné, j’avais écarté légèrement les rideaux pour voir sans être vu et j’avais regardé ces morceaux de son corps qui se déplaçaient en l’air exécuter leur étrange chorégraphie. Quand sa compagne était rentrée, il consultait son téléphone. Elle s’était plantée devant lui, avait posé la main sur son ventre, comme pour le caresser, mais lui n’avait pas réagi, il ne l’avait pas vraiment regardée, il donnait l’impression de se laisser adorer et de se complaire à cette adoration dont il était l’objet. Ensuite, je crois qu’il lui avait montré une position de gymnastique, qu’elle avait exécutée à son tour (mais elle n’était pas visible depuis mon poste d’observation), et puis j’avais arrêté de les espionner. Je ne me sentais pas honteux de le faire, non, au contraire, je trouvais que c’était très drôle de les observer, mais j’en ai eu assez. Je me suis souvenu que, moi aussi, j’habitais là avant, mais cela ne m’a rien inspiré de particulier. Un peu après, refusant catégoriquement de regarder le Guépard en version française, et tant pis si c’est snob, il vaudra toujours mieux être snob qu’abruti par l’épuisante industrialisation de la culture, laquelle parodie la démocratie pour mieux écouler sa marchandise (en vérité, de la camelote : l’industrie culturelle transforme tout en camelote, — note cet aphorisme), j’ai regardé un autre film que je n’avais pas vu depuis longtemps, une histoire de comédien qui connaît une ascension sociale fulgurante dans l’Allemagne nazie, et c’était très beau. La veille déjà, j’avais regardé un film du même réalisateur avec le même acteur sur l’ascension fulgurante d’un officier de l’armée dans l’Autriche-Hongrie impériale, et c’était très beau. Et ces films (Oberst Redl et Mephisto) étaient comme des témoignages nostalgiques d’une époque révolue (pas l’époque de leur fiction, l’époque de leur tournage), que je n’avais pas vraiment connue. J’ai conscience que c’est une grande partie une illusion, mais la partie qui n’est pas une illusion, à supposer qu’elle existe, que raconte-t-elle ?