21.12.22

Barbarie de l’autoroute du soleil sur laquelle chaque instant passé creuse un peu plus profond dans le bitume la question : Comment se fait-il que je ne sois pas déjà mort ? Conduire là est une reductio ad absurdum de l’idée selon laquelle il faudrait vivre dangereusement : le danger vient de partout, en même temps, de la droite de la gauche, il est le fruit pourri de la sauvagerie inculte à laquelle des populations entières sont réduites par l’époque, il est omniprésent, permanent, d’une imbécilité totale, et y survivre n’a rien d’un dépassement de soi du surhomme nietzschéen, n’importe quel clampin en est capable jusqu’à ce que, dans un bref moment d’inattention, il fauche un enfant. Et là, c’est le drame. Sain et saufs, toutefois, nous sommes bien arrivés à Grignan, dans l’odeur des feux de cheminée, où nous nous passerons la nuit. Après avoir déambulé un moment dans son échoppe, Daphné se plante devant la libraire du village, l’observe un instant assise derrière son bureau avant de lui dire : « Il y avait longtemps que je n’avais pas vu quelqu’un fumer la pipe. » Merveilleuse enfant. Incarnation de l’idée de vie même, espiègle, légère, belle. Mieux que dangereusement, c’est pour cela qu’il faut vivre, pour cette idée-là de la vie, et non pour celle qui, prisonnière de son obsession de la vitesse, passe à côté d’elle-même, se nie par ce qu’il y a, en elle, de pire. Regardant le paysage devenir provençal, je fais attention, moins au paysage, c’est-à-dire, qu’à moi-même, à mon propre penchant au sublime, soleil couchant et nuages à contrejour qui s’accrochent aux collines, pins et cyprès, génie du calcaire. Sur la place qui porte son nom, une statue de Marie de Rabutin-Chantal, dont la plume n’éclipse pas l’étonnante coupe de cheveux, avec ses mèches qui tombent en couettes ou en grappes de raisin, capillarité dionysiaque. Iconographie toujours plus étrange des écrivains qui ne sont pas faits pour l’image.